Quand on parvient à écrire un article que l'on considère suffisamment correct pour la mise en ligne et que l'accueil lui étant réservé est aussi chaleureux, il est difficile de se dire que l'on ne fera sans doute jamais plus pareille prouesse. Aussi, alors que Journey a enfin trouvé le chemin de la Playstation 4, il semblait plus que naturel (et tendance) de ressortir notre critique de l'époque dans une version remake HD, en priant très fort pour qu'elle ne sente pas trop la naphtaline. Si l'on excepte l'ajout d'un court paragraphe dédié au portage PS4 du jeu de Jenova Chen, l'article n'a pas subi la moindre modification depuis ce jour de mars 2012 où il est apparu en page principale. Tout juste avons-nous décidé d'y ajouter quelques vidéos 1080p/60fps de cette mouture "next gen" en prévenant tout de même ceux qui n'ont jamais eu l'occasion d'y jouer qu'il serait dommage de se laisser tenter à les regarder.
Un vaste désert. Le sable à perte de vue, avec comme seuls remparts entre un bien étrange personnage et une montagne qui se dresse au lointain, une mer de dunes immaculée. Un pic enneigé qui se place comme une balise que le joueur suivra inexorablement au cours d'une odyssée aussi mystérieuse qu'envoûtante, un périple qui l'amènera à traverser les paysages des plus marquants. Un peu à la manière de Dear Esther dont nous vous avions déjà parlé il y a peu, Journey laisse le joueur construire sa propre histoire, en se contentant de lui proposer de vagues pistes sous la forme de petites scénettes dévoilant la fresque à laquelle celui-ci prend part. Cette volonté farouche de lui laisser la liberté d'interpréter à sa guise l'histoire à laquelle il participe est pour beaucoup dans cette impression de vivre un rêve empreint d'un onirisme planant.
Planant, voilà bien le mot qui revient sans cesse dans la tête du joueur. Que le voyageur glisse sur le sable avec une grâce féline ou qu'il virevolte dans le ciel pour rejoindre les hauteurs, le sentiment de vivre une expérience quasi céleste ne quitte jamais le joueur. Tantôt émerveillé par les sublimes paysages, tantôt démuni ou accablé par l'aspect sinistre et hostile des lieux traversés, il sera difficile de ne pas être assailli d'émotions de toutes sortes. Nul doute que personne ne restera insensible face à la splendeur de certains environnements baignés dans la lumière chaleureuse du soleil tombant. Plus loin, la contemplation béate cédera la place à l'inquiétude et au sentiment de claustrophobie, sans pour autant sortir le joueur acteur et spectateur de ce rêve en apesanteur dans lequel il évolue. Pour vous épargner un trop plein d'envolées lyriques, Journey nous transporte et nous évade comme peu de titres sont capables de le faire.
Si la nouvelle création de ThatgameCompany ne propose pas des mécaniques de gameplay très compliquées et, finalement, des interactions limitées avec le monde de Journey, elle n'en reste pas moins un jeu vidéo à part entière, loin de l'expérience narrative qu'est Dear Esther. On y retrouve d'ailleurs l'empreinte assez marquée de jeux aussi classiques qu'Ico ou même Prince of Persia, dans toute la poésie dégagée d'une part, mais également dans le sentiment de solitude qui accable le joueur lorsqu'il n'est pas accompagné. Car oui, Journey n'est pas un voyage initiatique qu'on entreprendra toujours seul. Il ne sera en effet pas impossible de croiser la route d'un autre pèlerin lancé dans la même quête que vous, une âme errante avec qui on ne pourra jamais communiquer autrement que par de courtes notes de musique déclenchées en appuyant sur une touche de la manette.
On partagera alors quelques kilomètres de dunes, travaillant ensemble à certains moments, partant chacun de son côté à d'autres. Des instants que l'on partage donc sans que jamais les mots (écrits ou parlés) ne viennent briser l'harmonie des lieux et le mystère qui les entoure. Qui est donc l'inconnu qui nous aura aidé à construire le pont nécessaire à la progression ? Qui est celui qui aura affronté les pentes glaciales de la montagne céleste ? Pour le savoir, il faudra attendre la toute fin du générique de conclusion, quand s'afficheront les pseudos des âmes rencontrées comme autant de signatures d'une carte d'adieu ou de bienvenue, c'est selon. Mais avant cela, il aura fallu actionner divers interrupteurs, éviter des pièges, et bien sûr, ne faire qu'un avec le sable ou l'air, se laisser glisser vers l'inconnu ou porter par le vent.
Pour ce faire, il faudra récolter au préalable de petits morceaux d'étoffe virevoltants, ces derniers permettant de recharger l'écharpe du voyageur pour lui donner la capacité plus ou moins longue de sauter ou de planer dans les airs. Bien sûr, cachés de par le monde, de mystérieux symboles donneront au joueur la possibilité d'allonger ladite écharpe, lui conférant alors une plus grande latitude dans ses ballets aériens. De même, plusieurs zones cachées inviteront les plus curieux à se laisser aller à l'errance, jusqu'à les faire littéralement aspirer à ces moments de pur vagabondage, dans l'espoir de découvrir quelque ruine perdue après avoir gravi (et c'est le mot, tant chaque pas est difficile) une interminable dune. Pour ceux qui seront sensibles à cet appel, le voyage ne sera probablement pas unique, du moins pas dans le sens purement numéraire du terme.
On reviendra donc fort de sa première expérience, dans l'espoir de comprendre un peu mieux ce monde, de le découvrir encore plus, et de décrocher quelques trophées au passage. Après tout, flatter un peu son ego n'a jamais fait de mal à personne. De toute façon, quelle personne saine de corps et d'esprit refuserait de reprendre un peu de désert quand il est si divinement présenté ? Reste que l'on comprendra aisément la réticence de ceux qui se demanderont si une expérience si brève, aussi forte soit-elle, mérite qu'on y laisse le prix d'un bon (ou d'un mauvais) DVD. À cette question, nous n'avons de réponse que la nôtre : oui, très certainement. Mais il apparaît comme une évidence qu'elle ne pourra en aucun cas être prise pour autre chose qu'une opinion parmi tant d'autres. Aussi, il faudra vous forger votre propre avis et assumer pleinement votre choix. Peut-être alors aurons-nous la chance de nous croiser le temps d'un court voyage...
Trois ans plus tard, Journey étonne toujours par la maestria de sa direction artistique et de son exécution. Gratuit pour tous ceux qui s'étaient déjà laissés séduire par la version digitale sur PS3, le jeu de Jenova Chen est un rite initiatique obligatoire pour tous les joueurs qui n'auraient pu vivre ce fabuleux voyage. La beauté sublime des paysages traversés, les inconnus croisés pour partager un petit bout de chemin, la bande son tantôt enivrante, tantôt inquiétante, tout est ici sublimé par le passage sur la dernière console de salon de Sony. L'émotion a beau n'avoir que faire des considérations techniques qui rythment pourtant les échanges journaliers des internets, elle a encore plus fière allure en 1080p/60fps. Une bien jolie façon de passer le flambeau d'une génération à l'autre en attendant le prochain jeu du studio, que l'on espère au moins aussi marquant que celui-ci.
Tous les commentaires (13)
En attendant leur prochain jeu, Matt Nava -DA de Journey- va offrir Abzû qui devrait offrir quelque chose dans cet esprit encore une fois.
Très bonne review à l,image du jeu.
En tout cas bon boulot, Journey est parfait (en tout cas avec moi) quand je veux faire le vide.
Donc c'est clairement un bon investissement vu l'interaction subtile avec les autres joueurs de manière aléatoire et le plaisir et l'absence d'ennui à y rejouer.
Rien que d'en parler et voir le Timelapse je veux y jouer pour avoir le dernier succès.
C'est beau à tout les niveau et l'histoire, aussi minimaliste soit-elle, est vraiment belle elle aussi.