Largement considéré comme l’un des meilleurs jeux de plateau au monde, Gloomhaven fait parti de
ces expériences sur lesquelles bien des joueurs se jetteraient les yeux fermés. Sauf qu’il est difficile
de fermer les yeux sur un prix de 150 euros et la nécessité de rassembler plusieurs personnes autour
d’une table pendant des dizaines d’heures. En sortant une version digitale à 25 euros, parfaitement
jouable en solo, Asmodee Digital recentre le débat sur la question essentielle : Gloomhaven est-il fait
pour vous ?
Gloomhaven reprend le principe du jeu de rôle tactique coopératif, version Dungeon Crawler. On y dirige une bande rassemblant jusqu’à 4 mercenaires (et éventuellement 4 joueurs), prête à s’aventurer dans des égouts, cryptes, épaves ou autres lieux de villégiatures enchanteurs, en quête de richesses. Le cycle est simple : choisir une mission, casser du monstre, revenir en ville dépenser l’or et l’expérience acquise, puis se trouver une nouvelle mission. Néanmoins, Isaac Childres – le concepteur du jeu – agrémente le concept de nombreuses idées visant à renforcer la rejouabilité.
D’abord, les missions s’inscrivent dans une longue campagne avec des embranchements scénaristiques ouvrant ou fermant des pans de l’histoire. Et la version digitale reprend exactement ce contenu (y ajoutant même un mode Mercenaire). Ensuite, lorsque vous sélectionnez l’une des 6 classes disponibles, vous devez aussi lui choisir un objectif parmi deux proposés, et une fois cet objectif complété, votre avatar quittera définitivement le groupe, emportant toute l’expérience, tout l’or et tous les équipements qu’il a amassé. En contrepartie, vous débloquez l’accès à une nouvelle classe (il y en a 17 en tout) et quelques bonus pour poursuivre l'aventure. Enfin parce que lorsque vous arpentez la ville de Gloomhaven ou que vous vous rendez en mission, vous êtes confronté à des événements aléatoires qui, selon vos choix, confèrent divers bonus ou malus. Tout cela pour dire qu’à défaut de rivaliser avec Dragon Age ou The Witcher en termes de mise en scène, Gloomhaven ne fait absolument pas l’impasse sur la narration ou la dimension Roleplay, et sait même se montrer novateur.
Cela ressort d'ailleurs beaucoup dans sa mécanique de combat au tour par tour qui emploie des cartes pour les déplacements et les attaques. Chaque classe possède une réserve de cartes uniques définissant sa façon de jouer, et en débloque de nouvelles en gagnant des niveaux. Mais vous ne pouvez emporter qu’un nombre limité de cartes en mission. À chaque tour de combat, vous devez en sélectionner 2 et c’est là que les choses se compliquent. Chaque carte se divise en 4 parties. En haut, vous avez une attaque par défaut et (généralement) une attaque spéciale. En bas, vous avez un déplacement par défaut et (généralement) un déplacement spécial. Si vous jouez la partie haute d’une carte, vous ne pourrez jouer que la partie basse de l’autre (et inversement). De plus, chaque carte possède une valeur d’initiative et celle que vous choisissez en premier détermine votre ordre de passage dans la résolution des actions. Vous me suivez toujours ? Parfait, abordons gaiement la partie sadique.
La plupart des actions sont gratuites et envoie la carte utilisée dans la défausse, mais certaines actions puissantes consument la carte, la rendant inutilisable pour le reste du combat. Par ailleurs, lorsque votre avatar prend des coups, il peut les encaisser mais il peut aussi annuler de gros dégâts en… consumant une carte. Et lorsque votre main est vide, devinez ce qu'il faut faire pour récupérer les cartes de la défausse ? Oui, consumer une carte. Contrairement à la vaste majorité des jeux qui repose sur un accroissement constant de sa puissance, Gloomhaven est un véritable jeu d’attrition. Plus on avance, plus on faiblit car il faut à la fois lutter contre les adversaires et contre le temps qui passe. Comme si cela ne suffisait pas, le loot ne se récupère pas automatiquement et ne se partage pas, il faut le ramasser avec le bon personnage en allant sur la bonne case, ce que l'on a pas forcément le temps de faire. Même les équipements obtenus ne confèrent que des bonus temporaires car ils fonctionnent sur un principe de charges limitées.
Vous l’aurez compris, Gloomhaven, c'est du velu. Même son mode facile s’avère impitoyable et nécessite des décisions réfléchies, une analyse soigneuse des nombreux ennemis ainsi qu’une exploitation efficace de certaines combinaisons de cartes. Car la victoire est toujours là, à portée de main. Il faut juste se triturer les neurones, planifier, s'approprier les nouvelles cartes qui entrent régulièrement en jeu. Et ces affrontements remportés sur le fil du rasoir sont absolument jubilatoires… en général. Car ponctuellement, le jeu sombre du coté obscur du hasard.
C'est un échec critique sur une carte d'attaque puissante que vous avez consumé… pour rien. C'est une rencontre aléatoire en chemin vers une mission qui vous fait perdre 2 cartes, rendant un personnage inutilisable au bout de quelques tours. C'est l'un de ces défis, proposés en début de mission et crucial dans l'amélioration des personnages, qui s'avère infaisable dans CETTE mission. Ces petites pointes de frustration ne pèsent pas forcément lourd dans appréciation globale de l'expérience, mais on s'en passerai volontier.
Coté technique, le résultat est convaincant avec des héros et des ennemis soigneusement modélisés dans la veine des figurines existantes, des animations correctes et un narrateur très à l'aise dans son rôle de Maître de Jeu. Cela dit, Gloomhaven ne cherche pas à s’émanciper de son statut de jeu de plateau et cela se sent dans les environnements répétitifs, dans les illustrations qui tournent en boucles, loin des jeux de rôles qui profitent du format digital pour restituer virtuellement des mondes d'une grande richesse. En réalité, outre son prix et son mode solo, l'avantage principale de cette version est de réaliser automatiquement une myriade de calculs statistiques sans devoir jongle avec des centaines de cartes et de jetons. Et c'est bien.
Tous les commentaires (3)
Et, je ne sais pas si c'est pareil pour le jeu physique, mais le dosage de la difficulté m'impressionne beaucoup.
Sur des Board Game physiques que j'ai fait comme Conan, Batman, Les demeures de l'épouvante, je trouve l'équilibrage très inégal. Un coup c'est dur, voire injuste, un coup c'est une balade de santé. Là, toutes les missions étaient tendues mais faisable en se creusant la tête, et j'adore la satisfaction de ce genre de victoire à l'arrachée.