Huit ans après la première review Gamersyde d'un jeu Quantic Dream, nous voilà prêts à vous livrer notre verdict sur le très attendu Detroit: Become Human sur Playstation 4. Un article comme toujours accompagné de quelques vidéos (en 4K) qui ne dévoilent évidemment aucun élément majeur de l'intrigue. Bonne lecture et bon visionnage !
Gamersyde Live : Comme le veut la tradition, nous serons en direct dès ce soir 21h45 pour vous présenter le jeu et répondre à vos questions.
Une fois n'est pas coutume, avant de vous proposer notre avis argumenté sur Detroit: Become Human, nous avons décidé de retracer le vécu de notre expérience pas à pas, à travers une sorte de petit journal intime de notre premier playthrough du jeu. Une approche un brin expérimentale de la critique sans doute, mais qui ne tente rien... Restez cependant conscient que, même si nous restons toujours dans le vague pour ne rien dévoiler des situations rencontrées et de l'évolution de l'intrigue elle-même, cette partie de l'article peut néanmoins vous en apprendre plus que vous ne le souhaiteriez sur le déroulement du jeu. Encore une fois, nous ne pensons pas que ce que nous évoquons puisse être considéré comme du spoil, mais nous préférons mettre en garde ceux qui pourraient percevoir nos "impressions chronologiques" ainsi - aussi dénuées de tout marqueur temporel ou contexte soient-elles.
Avant même de pouvoir débuter l'aventure, nous a tout d’abord découvert la manière assez originale avec laquelle Quantic Dream accueille le joueur au lancement du jeu. Pour nous mettre tout de suite dans l'ambiance, c’est une androïde qui nous a guidé dans les différents réglages du jeu, de la luminosité aux paramètres liés aux langues (voix et textes). Une façon plutôt maline de faire entrer le joueur dans l'univers du jeu avant même que ne débute réellement l’histoire de Detroit: Become Human, qui place justement ces êtres artificiels au centre de son intrigue. Puis c’est avec le chapitre proposé il y a peu en démo (et que nous avions eu l'occasion d'essayer une première fois lors de la Paris Games Week) que nous avons entamé l’aventure pour de bon, une séquence de prise d’otage qui nous a tout de suite mis face à une certaine pression, même si nos essais multiples de la version d’essai nous avaient déjà permis de trouver la meilleure manière d'aborder la situation sans que tout ne finisse par tourner au vinaigre. Une introduction qui permet à la fois de se faire une première idée des mécaniques de gameplay et de planter le décor en donnant quelques pistes sur les enjeux à venir, et les possibilités en termes d'embranchements.
S’en est suivi la présentation des deux autres protagonistes de l’histoire, Kara, dont le propriétaire est un père de famille à la dérive, et Markus, auxiliaire de vie d’un vieil artiste peintre malade qui le traite comme un fils. Ce premier contact avec le nouveau titre de Quantic Dream s'est avéré très encourageant. Le studio français a mis les petits plats dans les grands et propose un jeu d’une grande richesse graphique, même s’il use d’artifices grossiers (mais logiques compte tenu de la nature des personnages principaux) pour limiter son terrain de jeu. Les espaces urbains débordent de vie, les intérieurs sont détaillés et dégagent tous une atmosphère propre, et s’il n’y avait pas cet effet de profondeur de champ permanent, techniquement irréprochable mais exagéré au point de rendre l'ensemble du décor bien trop flou, tout serait quasi parfait. Un effort impressionnant a été fait sur les visages des différents personnages, sur le grain de leur peau et l’intensité de leurs regards. Les animations sont réussies, naturelles et fluides dans l'ensemble, mais il subsiste parfois une légère rigidité dans leurs déplacements. Rien qui ne soit venu ternir pour l’instant ce que Quantic Dream a toujours à cœur de transmettre, à savoir l’émotion, celle-ci étant déjà palpable dans plusieurs scènes, dont celles impliquant l’enfant, aux expressions faciales et aux regards particulièrement touchants.
Début du jeu oblige, on nous a aussi présenté ce qui est annoncé comme le point fort du jeu, ses multiples embranchements liés à nos décisions, que l’on découvre à la fin de chaque chapitre avec la possibilité d’afficher les pourcentages mondiaux pour chacune d’entre elles. On y voit évidemment là la promesse d’un scénario un peu moins linéaire que dans les autres jeux du genre, et l’espoir d’une vraie rejouabilité, qui pourrait bien cette fois ne pas mettre en évidence toutes les grosses ficelles dont abusent souvent les "jeux à choix multiples" aux ambitions narratives. L’entrée en matière est donc indéniablement accrocheuse, en dépit d’un rythme assez lent imposé par ces scènes du quotidien que Quantic Dream aime tant mettre en scène, et d’un parallèle un peu trop marqué avec l’Histoire américaine des années 50/60. En revanche, deux petits détails sont venus brièvement tempérer notre enthousiasme. On ne parle pas ici de véritables incohérences scénaristiques, mais de petites entourloupes qui privent le joueur d’une partie du contenu narratif, sans qu’il en soit réellement prévenu en amont. Certains diront qu'il n'y a rien de plus normal à cela, la promesse du jeu étant d’adapter son déroulement à nos actions, mais lors de cette première session, un fugace sentiment de frustration s’est invité par deux fois, comme nous allons vous l'expliquer. Si vous ne voulez connaître aucun détail relatif aux deux chapitres du début du jeu que nous allons évoquer dans les trois paragraphes suivants, nous vous conseillons de passer directement au deuxième jour de ce carnet.
Dans la première scène incriminée, Connor doit retrouver l’inspecteur Hank Anderson dans un bar avant de pouvoir se rendre avec lui sur les lieux d’un crime. L’homme n’a à l’évidence pas envie d’être dérangé et plusieurs approches sont possibles pour le déloger des lieux. Pas forcément diplomates par nature (certains membres de la communauté en conviendront), nous avons décidé de renverser le contenu de son verre sur le comptoir de l’établissement, ce qui a renforcé l’animosité de notre interlocuteur à notre égard. Il faut dire que l’homme n’avait pas particulièrement l’air ravi de sa collaboration forcée avec un androïde. Une fois sur les lieux du crime, nous sommes partis en quête des différents indices repérés par les policiers sur place. Il s’agissait alors d’analyser chacun d’entre eux méticuleusement et d’explorer la maison de la victime. Tout ceci a fini par nous mener dans le jardin, par où le déviant (c’est le nom donné aux androïdes qui n’ont plus un comportement normal) suspect du meurtre de son propriétaire était soit disant passé pour s’enfuir. Les capacités d'analyse de Connor lui permettent rapidement de remarquer que personne n’a posé le pied sur le sol détrempé depuis bien longtemps, et le court échange qui suit avec son nouveau coéquipier semble plutôt cordial en définitive. Nous n'y avons noté aucune rancœur particulière à l’égard de l’androïde, et on irait même jusqu'à dire que nous y avons décelé une légère forme de respect, toutes proportions gardées bien sûr. Anderson était en effet bien forcé de reconnaître qu’aucun être humain n’aurait pu fournir une information aussi précise en si peu de temps.
Alors que nous nous apprêtions enfin à inspecter le corps de la victime pour terminer notre enquête et comprendre ce qui s’était passé, Hank nous a soudainement annoncé qu’il voulait quitter les lieux sans plus attendre. Problème, Connor ne pouvait rester sur place sans lui, son programme le lui interdisant formellement. À l'évidence, notre approche maladroite au bar ne nous permettait pas de convaincre le policier fatigué de rester quelques minutes de plus, nous enlevant aux forceps la satisfaction d’en apprendre plus sur le meurtre perpétré. Mission échouée nous dit-on alors, mais qui n’a évidemment pas empêché l’histoire de suivre tranquillement son cours. Si c’est bien le propre de la vie de nous prendre régulièrement par surprise, on regrette tout de même ne pas avoir ressenti l’animosité d’Anderson envers Connor au cours de la scène d'enquête, ce qui aurait sans doute mieux justifié sa réaction virulente à la fin. Comprenez-nous bien, nous savions pertinemment que nous n’étions pas partis sur les meilleures bases avec lui, mais Anderson n’avait montré aucun signe d’impatience. Un premier petit détail comme nous vous le disions, mais que nous avons néanmoins retenu de notre première soirée en compagnie du jeu. Pour le second, il s’agit sans doute plus d’une erreur de mise en scène ou d'un faux raccord, et non pas d'un problème structurel ou d'écriture.
Dans l'un des chapitres du début de l'aventure, Kara doit trouver un abri pour elle et Alice, la petite fille dont elle s’occupe. Obligées de passer la nuit dehors pour des raisons que nous ne dévoilerons pas ici, plusieurs options s’offrent à elles. Comme la pluie ne faiblissait pas, la perspective de dormir à la belle étoile n’avait rien de très réjouissant, mais demander de l’aide à des humains quand on est un androïde s’avérait assez risqué. Dans le contexte très hostile qui les entoure, avec une majeure partie de la population qui les blâme de la hausse du chômage, il était assez logique de ne pas trouver une oreille attentive. Sans argent pour se rendre dans le motel le plus proche, il nous restait la possibilité de nous installer dans un parking, au risque de voir Alice prendre froid, ou de nous introduire dans une maison abandonnée clôturée. Une rapide inspection des lieux permit à Kara d’envisager d’y entrer de force, mais il lui fallait d’abord mettre la main sur une pince coupante. Coup de chance, le petit magasin de quartier en vendait, ou plutôt en prêtait, pour ainsi dire. Sans le moindre billet dans la poche, nous n’avions pas d'autre choix que celui de devenir hors-la-loi et d'emprunter l’outil pour une durée indéterminée. Heureusement, le caissier ne nous a pas surpris, ce qui nous a mis suffisamment en confiance pour tenter un second larcin, nettement moins justifié. Bien sûr, c’est à ce moment que nous nous sommes faits prendre la main dans le sac. L’homme nous a alors demandé de remettre en place ce que l’on venait de subtiliser, et nous avons donc obtempéré en reposant la peluche volée (quand on vous disait que ce n’était pas vraiment nécessaire). Un peu penauds, mais malgré tout satisfaits d’avoir pu dérober la pince, nous nous sommes empressés de sortir du magasin pour aller découper le grillage entourant la maison. Sauf que non, plus de pince, même si aucune cinématique ne nous avait montré Kara en train de replacer l'objet dans son rayon. Un oubli surprenant tant il était simple d’ajouter une scène supplémentaire pour que cela soit présenté de façon claire.
Deuxième jour, il nous tardait de retrouver tous les protagonistes d’une histoire qui débutait à peine et qui, malgré nos deux petites anecdotes, nous donnait terriblement envie d'en voir plus. On vous rassure, pas question de vous conter le détail des scènes jouées lors de cette seconde session, l'idée derrière ce carnet de bord étant surtout de partager nos impressions au fur et à mesure pour vous permettre de suivre l'évolution de notre ressenti. Ce que nous avons rapidement remarqué après quelques chapitres seulement, c’est que, mine de rien, nuos nous étions déjà bien attachés aux différents personnages, qui ont tous des motivations bien personnelles. Celles de Connor ont beau sembler limpides, une aura de mystère plane au dessus de la personne à qui il doit rendre compte. Les nouveaux environnements traversés ont continué de nous impressionner, par l’ambiance qu’ils dégagaient autant que par leur rendu visuel. À la mélancolie de certaines des scènes découvertes hier se sont ajoutés des moments plus inquiétants, donnant au jeu l'occasion de montrer un autre visage, davantage tourné vers l’horreur. Le travail sur les effets de post-traitement et sur la bande son de l’un des passages en particulier nous a fortement impressionné, tant cela nous a permis de faire corps avec le personnage, jusqu’à ressentir son mal-être. Les premières phases d’action ont aussi fait leur apparition durant cette seconde session, faisant évidemment intervenir des QTE en pagaille, mais nous laissant aussi diriger le personnage et choisir son itinéraire lors d'une course poursuite haletante. La mise en scène de ce passage est soignée, son issue pas nécessairement favorable, et cette accélération du rythme soudaine fonctionne parfaitement dans le récit. C’est également au cours de cette partie que nous avons découvert une autre manière d’aborder la mécanique entrevue dans les phases d’enquête, qui consiste à reconstituer la chronologie des faits pour en comprendre le déroulement. La différence est qu’ici, il s’agit de trouver le meilleur chemin à emprunter pour ne pas tomber. On peut sans aucun doute y voir la volonté du studio de proposer une expérience qui se renouvelle autant que possible, tant dans les lieux que l’on traverse que dans ce qu’il nous est demandé d'y faire.
La tension est montée d’un cran aujourd'hui, avec quelques scènes à l’issue incertaine qui nous ont gentiment bousculés et nous ont amenés à craindre le pire à plusieurs reprises. Les liens entre les personnages se resserrent de plus en plus, du moins dans notre cas (le comportement du joueur influe sur leur entente), même s’il n’est pas toujours simple de satisfaire tout le monde. Nous avons fait de nouvelles rencontres, chacune étant marquante à sa façon, et la construction du récit autour de trois arcs narratifs nous a confirmé sa grande efficacité, à défaut de se montrer très originale après Heavy Rain (ou même GTA V). Fondamentalement, les mécaniques de jeu ne se renouvellent pas énormément, on est bel et bien dans un jeu Quantic Dream, dans une ambiance plus proche de celle de Heavy Rain que de Beyond: Two Souls, mais les situations, elles, ne se répètent toujours pas et continuent de varier les ambiances. Quelques passages plus intimistes font leur apparition, nos choix donnent l’impulsion nécessaire au récit pour maintenir notre intérêt au plus haut point, et il ne fait plus aucun doute qu’une bonne partie d'entre eux façonne notre expérience selon nos désirs. Il ne tient donc qu’à nous de raconter l’histoire que l’on souhaite suivre, et si ce n’est quelques couacs imprévus dans notre manière de gérer certains événements, on se sent plus ou moins maître de ce qui nous arrive. Le problème, c'est qu'à mesure que les heures défilent, notre attachement à Markus, Alice, Kara, Connor et Hank rend de plus en plus difficile la gestion du stress lors des moments clefs qui semblent ponctuer de plus en plus fréquemment la trame scénaristique.
Encore des rencontres et une tension palpable lors d’un passage où tout pouvait très vite basculer, et orienter l’intrigue dans une nouvelle direction. Il ne s’agit pas là d’une simple impression, on vous l’avoue, une erreur d’inattention nous fait tellement regretter la tournure des événements que nous n'avons pas résisté à l’envie de relancer le chapitre pour aborder la situation un peu différemment. Cela va à l’encontre de tous les conseils prodigués par Quantic Dream et de David Cage pour une première partie, mais sur le moment, cela nous était bien égal car tout ce qui comptait à nos yeux, c'était les personnages dont on avait la charge. Constatant que le déroulement de la scène était bien modifié par nos actions, nous avons pu poursuivre le cœur plus léger, mais néanmoins honteux de ne pas avoir su assumer nos erreurs. Pas le temps de tergiverser cependant, les autres protagonistes attendaient que nous prenions en main leur destin respectif. Une fois de plus, le parallèle avec le mouvement des droits civiques est sans doute un peu trop évident, mais en même temps, comment aurait-il pu en être autrement dans un tel contexte narratif ?
Pour ce dernier jour en compagnie du jeu, le rythme s'est nettement accéléré, jusqu'à ce que la tension atteigne son paroxysme, laissant planer le doute sur le dénouement. De l'action, du suspens, des décisions à prendre rapidement et des QTE qui s'enchaînaient avec un bon sens de la mise en scène, on sentait bien que la fin approchait à grands pas et que l'arc narratif de chacun des personnages était sur le point de se clore. Difficile de citer d'exemples sans risquer de vous en dire trop, mais cette session n'a pas manqué de moments forts, et tant pis si certains choix, à priori risqués, se sont finalement avérés moins difficiles à mettre en œuvre que prévu. Parmi les décisions prises, on en retient essentiellement une qui nous a donné l'occasion de vivre un très joli moment face au danger. Quand nous avons atteint notre propre conclusion de l'histoire, nous avons tout d'abord ressenti une vive émotion pour ces personnages que nous avons accompagnés pendant une trentaine de chapitres, mais également la peine satisfaction d'avoir vécu une histoire prenante. Certes, Detroit: Become Human ne réinvente pas la roue, et n'a clairement pas pour vocation à réconcilier ceux qui n'ont jamais adhèré pas à la formule Quantic Dream, mais en soignant sa direction d'acteur et sa mise en scène, en optant pour une écriture simple sans trop d'artifices inutiles, il est indéniablement le projet le plus abouti du studio français à ce jour.
Quatre ans et demi après Beyond: Two Souls, le studio Quantic Dream revient donc aux affaires avec Detroit: Become Human, une fable humaniste qui s'intéresse cette fois à l'évolution des intelligences artificielles et aux éternelles questions auxquelles de nombreux auteurs de science-fiction ont déjà essayé de répondre : qu'est-ce qui fait de nous des êtres humains et de quel droit nous plaçons-nous au dessus des autres espèces ? L'humanité n'a eu de cesse de progresser depuis son avènement, mais pour cela il lui a fallu passer par des épreuves difficiles. Alors que l'Homme se plaît à croire que sa supériorité lui vient de sa capacité à réfléchir, à ressentir et à agir en conséquence, il n'a pourtant pas hésité à accabler ses semblables sous prétexte qu'ils ne partageaient pas toujours les mêmes origines ou les mêmes opinions. Cette propension à vouloir imposer aux autres ses codes et ses règles, on la retrouve évidemment à plusieurs stades de l'Histoire, et il n'est donc pas étonnant de la voir appliquer à notre futur par David Cage, toujours responsable du scénario de cette nouvelle production Quantic Dream. Si l'auteur français a reçu les conseils avisés d'un scénariste américain habitué des séries TV au moment de la traduction de son script, c'est bien lui qui signe la trame de ce nouveau jeu.
Inspirée par la période du mouvement des droits civiques aux États-Unis (1954-1968), l'histoire met en scène un monde dans lequel les androïdes créés pour nous aider au quotidien vont peu à peu se réveiller à la conscience et refuser de se cantonner au simple rôle d'esclaves obéissants. Si l'intrigue n'évite pas certains clichés, ou clins d’œil c'est selon (les androïdes sont forcés de rester à l'arrière des bus par exemple), si l'analogie avec certaines figures illustres de l'époque est sans doute un peu trop évidente, l'histoire de Detroit: Become Human n'en reste pas moins bien écrite dans son ensemble. Mieux, elle a le bon goût de ne pas nous refaire le mauvais coup du twist final de Heavy Rain (ce qu'on lui avait néanmoins pardonné). Vous l'aurez compris si vous avez pris le temps de parcourir notre carnet de bord, le jeu parvient à impliquer le joueur le plus en plus dans les événements qui arrivent aux différents personnages. Plus que de la sympathie pour eux dans les épreuves qu'ils traversent, c'est bien une certaine forme d'empathie que l'on ressent petit à petit à leur égard. C'est d'ailleurs en jouant sur l'affect que le jeu justifie sa structure même, car il ne peut y avoir de conséquences marquantes si le joueur ne s'implique pas émotionnellement dans les décisions qu'il prend en amont.
Si tout cela est bien évidemment assez subjectif, nous devons avouer que tout a parfaitement fonctionné avec nous. Notre implication dans la trame est allée crescendo, la peur de ne faillir au plus mauvais moment a été omniprésente, et nous nous sommes réellement sentis investis du début à la fin. Au tout départ, les séquences qui mettent en scène le quotidien résonnent comme un écho à celles du déprimant Heavy Rain, mais possèdent toujours cette terrible efficacité pour mettre en place l'ambiance et amener le joueur à comprendre un peu mieux les personnages et leurs motivations. Pour autant, on ne vous affirmera pas que le jeu est dépourvu de défauts dans sa structure narrative. Certains événements s'enchaînent peut-être un peu trop rapidement parfois, encore que cela ne nous a jamais véritablement sauté aux yeux. De même, les grincheux habituels argueront que l'intrigue n'est sans doute pas la plus originale qui soit, mais l'univers est tellement bien pensé, tellement crédible dans son ensemble, que les événements s'enchaînent sans que jamais l'ennui ne pointe le bout de son nez. Il faut dire que, plus encore que la trame scénaristique, ce sont les personnages que l'on se plaît à suivre dans ce Detroit: Become Human.
À chaque sortie d'un nouveau titre Quantic Dream, il est impossible de ne pas voir apparaître les habituelles réactions hostiles de ceux qui clament haut et fort qu'il ne s'agit pas d'un jeu vidéo, oubliant au passage que l'Histoire du médium s'est pourtant construite autour d'une réelle diversité de genres. Dragon's Lair, Space Ace et tous les jeux d'aventure textuels s'étaient en effet déjà chargés de limiter l'interactivité pour mieux se concentrer sur la mise en scène et le visuel (pour les deux premiers) ou le scénario (pour les fictions dites interactives). Qu'importe si le succès de toutes les expériences narratives récentes (Until Dawn, Life is Strange, les nombreuses séries Telltale) ne fait aucun doute, pour cette franche de joueur, des titres comme Heavy Rain, Beyond: Two Souls ou Detroit: Become Human n'ont leur place que sur YouTube, et certainement pas dans leur console. Si l'on conçoit bien que l'on puisse être totalement hermétique au genre, on ne se gênera pourtant pas pour leur dire que leur vision est très réductrice et qu'ils font sans doute fausse route. Dans la mesure où une telle expérience ne les intéresse pas en tant que joueur, l'envisager comme spectateur n'a pas vraiment de sens. Nous l'avons déjà évoqué plus haut, mais ce qui rend un jeu comme Detroit: Become Human intéressant et immersif, c'est le lien qu'il parvient à établir entre ses personnages et celui qui tient la manette et prend les décisions pour eux.
Vous ne manquerez pas de nous dire qu'il est pourtant normal de se sentir impliqué dans tout bon film, et vous aurez raison. Mais voilà, Detroit n'est pas un film, et s'il en reprend les codes et la grammaire pour raconter son histoire, il est avant tout pensé pour être vécu par celui qui joue. Par extension, celles et ceux qui partageront le même canapé que lui et l'accompagneront dans sa partie pourront bien sûr y trouver leur compte, mais rien ne pourra remplacer la sensation d'être intimement lié aux destins des différents protagonistes. Pour cette raison, un Let's Play ne pourra jamais être aussi satisfaisant à suivre que peut l'être le jeu lui-même, quand bien même l'intrigue nous semble suffisamment bien menée pour être appréciée à sa juste valeur. À l'évidence, si ce qui vous dérange le plus dans les jeux de David Cage est lié à ses mécaniques de gameplay, Detroit: Become Human ne va assurément pas vous convenir. Plus proche d'un Heavy Rain que d'un Beyond: Two Souls à bien des égards, ce nouveau titre respecte à la lettre le cahier des charges du studio : le stick droit sert aux différentes interactions avec le décor (mais permet aussi de déplacer la caméra, ce qui peut occasionner quelques maladresses d'ailleurs), le pavé tactile simule les glissements du doigt sur les tablettes, la fonction gyroscopique est mise à contribution régulièrement et l'on a droit à des séquences de QTE dès qu'une scène d'action commence. Les phases d'enquête sont très guidées et ne demandent pas véritablement de réflexion, pas plus que les passages qui imposent d'anticiper un itinéraire acrobatique pour éviter une chute fatale. Plusieurs séquences limitées en temps viendront tout de même vous compliquer la donne et faire peser sur vous un fort sentiment d'incertitude, mais il ne faudra pas attendre du jeu un réel challenge mécanique.
En dépit de l'utilisation de mécaniques très classiques pour le genre, Detroit est suffisamment habile dans sa construction pour proposer des situations variées dans des lieux qui ne le sont pas moins. Comme dans Heavy Rain, le choix de proposer trois personnages jouables permet d'offrir plusieurs perspectives sur le contexte de rébellion du jeu. Connor essaie tant bien que mal de comprendre ce qui arrive aux déviants pour mieux les arrêter, Kara espère protéger la petite Alice et lui donner la vie paisible qu'elle mérite, et Markus se retrouve propulsé sur le devant de la scène et doit en assumer les conséquences. Chaque personnage se retrouve donc confronté à des événements bien précis qui dépendent de la situation dans laquelle il/elle se trouve, ce qui entraîne le joueur dans des séquences bien distinctes les unes des autres. En tant qu'enquêteurs, Connor et Hank ne feront donc pas les mêmes choses que Kara et Alice, obligées de se cacher, ou même Markus, totalement lié au mouvement de résistance des androïdes. Outre son univers, l'autre attrait de Detroit est indéniablement lié à sa plastique, superbement mise en avant par la mise en scène soignée du jeu. Jadis critiqués pour leurs regards désincarnés, les personnages modélisés à partir d'acteurs et d'actrices sont particulièrement vivants. On ira même jusqu'à dire que l'humanité que certains d'entre eux dégagent dans plusieurs passages devient parfois troublante de réalisme. Il y a bien encore quelques visages qui, malgré un grain de peau très détaillé, dissimulent mal leur origine numérique, mais dans l'ensemble, c'est une bien belle performance qui améliore encore le rendu obtenu dans Beyond: Two Souls, déjà impressionnant à l'époque de sa sortie.
Les décors, bien que toujours très cloisonnés, sont tout aussi réussis, avec un beau travail sur les éclairages, mais vous l'aurez compris, nous ne sommes pas très convaincus par le choix du studio concernant l'abus de l'effet de profondeur de champ qui, en plus du grain cinématographique de l'image, a trop tendance à flouter le décor et gâcher un peu le rendu global. Ce n'est pas systématique, mais on le remarque régulièrement lorsque l'on évolue dans des environnements en extérieur et qu'il fait grand jour. Tout cela a beau être justifié par le placement de la caméra et l'intention de mimer l'esthétique d'un film, assez proche du personnage, nous ne trouvons pas l'effet très naturel en jouant sur un téléviseur 4K, mais il faut rappeler que le nôtre se trouve à environ deux mètres de notre canapé. Autre grief, plus mineur à nos yeux, la neige au sol nous a semblé nettement moins convaincante que ce que l'on peut voir chez la concurrence, voire même en deçà de notre souvenir de celle de Beyond. Les animations sont en revanche très bien intégrées et ne rendent jamais les déplacements trop patauds, contrairement à ce que l'on avait ressenti dans Heavy Rain il y a huit ans. Il arrive encore que l'on se prenne les pieds dans le tapis, que la caméra fasse un peu des siennes en intérieur, mais dans l'ensemble, la navigation est agréable. Terminons ce court passage sur la technique en évoquant le framerate, parfois un peu mis à mal dans les scènes les plus riches en effets ou en PNJ, car oui, le jeu propose quelques scènes de foule plutôt marquantes et bien vues. En dehors de cela, rien à signaler, Detroit: Become Human est une jolie vitrine pour le genre, qui prouve une fois de plus que Quantic Dream sait faire de bien jolies choses. On ne s'étonnera donc pas non plus de retrouver un casting cinq étoiles et une bande originale efficace pour parfaire l'illusion cinématographique.
Tous les commentaires (18)
Plutôt pas mal rassuré si ça se rapproche plus d'heavy rain que de Beyond.
(petite coquille : mais il faut rappelons que le nôtre se trouve à environ deux mètres de notre canapé)
Allez je me retiens de zieuter les vidéos.
Pas présent ce soir mais je vous écouterai en replay :)
Encore une fois ce test est très bien ecrit et agreable a lire, je me garde la partie carnet de bord pour plus tard et ce soir a minuit (acheté en démat) je plonge dans cette aventure que j'espere riche en émotion pour moi le grand sentimental ;)
En plus la thématique du jeu m'accroche à mort en plus... Mais le gameplay là non, j'peux pas; c'est pas fait pour moi. :(