Après Final Fantasy XV, une autre arlésienne est enfin arrivée entre nos mains tremblotantes, et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit de The Last Guardian. Annoncé sur PS3 en 2009, le titre de Fumito Ueda aura connu un développement houleux et compliqué, allant même jusqu'au départ de son géniteur de Sony, même s'il restait toujours en charge du jeu. 7 ans plus tard, revoilà donc l'enfant et sa gigantesque créature, sur Playstation 4 cette fois, une machine dont la puissance devait enfin permettre de sauver cet ambitieux projet. Reste maintenant à savoir si l'on se souviendra du titre pour les bonnes raisons dans les mois et années à venir. Début de réponse, juste après le clic.
MAJ : Ajout de deux vidéos d'analyse de FPS sur la PS4 de base.
Jane Austen a dit un jour qu'il n'existait guère d'imperfections de la personne que des façons aimables ne réussissaient pas à faire peu à peu oublier. Elle qui maniait habilement la langue à travers la plume aurait tout aussi bien pu faire référence à The Last Guardian et à son monstre, à plumes lui aussi, tant on comprend vite qu'il ne faut surtout pas s'arrêter à ses imperfections, sous peine de manquer tout ce qui fait son indubitable majesté. Tout comme ICO et Shadow of the Colossus avant lui, The Last Guardian n'est pas un titre sans faille, mais la justesse de ses intentions et l'humilité de ses coups de génie en font une expérience inoubliable comme on en vit peu dans le médium. Pourtant, avant de vous expliquer ce qui fait du nouveau Ueda un immanquable dans la ludothèque PS4, il nous faut tout d'abord crever l'abcès en mentionnant tout ce qui découle peut-être de la gestation difficile du projet, depuis son annonce en 2009. Des problèmes pas toujours aussi mineurs que nous l'aurions souhaité, mais qui ne parviennent heureusement jamais à prendre suffisamment le pas sur le reste pour occulter les forces du jeu.
Pour commencer, difficile de ne pas évoquer la gestion de la caméra libre, assez déstabilisante au départ, au point de donner l'impression que ses déplacements fonctionnent en mode ON/OFF. Au delà du fait que cela nous a énormément compliqué la tâche pour vous offrir des vidéos purement contemplatives, le contrôle de la caméra au stick droit nous a semblé archaïque, ce qui n'aurait rien de dramatique s'il ne rendait pas l'observation des décors plus difficile qu'elle ne devrait l'être. À ceci, il faut ajouter les moments où la caméra s'affole, dans les environnements clos et plus étroits, que l'on se trouve au sol, près de la créature, ou sur son dos. Des défauts dont on finit par s’accommoder avec l'habitude, mais qui, cumulés aux quelques problèmes de collision entre le personnage et le décor, et aux imprécisions des déplacements (à cause des excellentes animations sur lesquelles nous reviendrons sous peu), pourront agacer ou frustrer les moins patients. Et puis il y a cette idée saugrenue et dépassée de vouloir sans cesse rappeler la fonction des touches de la manette, avec le dessin de la DualShock 4 à l'écran pour mieux briser l'immersion... Un rappel visuel qui n'est pas désactivable dans les options, même lors d'une seconde partie.
Poursuivons ce petit plaidoyer sur nos regrets avec la partie visuelle. En dépit de l'indéniable réussite de la direction artistique, qui mérite toujours autant de louanges que dans les deux précédents jeux du designer japonais, l'aspect purement graphique et technique souffre assez nettement du poids des années. Si l'on excepte les deux personnages principaux, très soignés, et même impressionnant pour Trico, les décors ne sont pas réellement à la hauteur du support sur lesquels on les découvre. Les textures sont, pour la plupart, très peu détaillées, les extérieurs surexposés (une marque de la "série") empêchent de profiter de plus de détails dans la modélisation, et les intérieurs manquent aussi de panache techniquement parlant. Le voile gris/blanc que l'on doit subir dans les zones sombres est regrettable, d'autant plus si vous y jouez en HDR. D'une manière générale donc, les éclairages ne vivent pas suffisamment avec leur temps. Malgré ce bilan graphique très moyen, The Last Guardian se permet également quelques baisses de framerate sur PS4 et PS4 Pro (en 4K) qui, si elles ne sont jamais préjudiciables pour le gameplay, font malgré tout peine à voir quand elles surviennent dans les zones plus riches en végétation. Les possesseurs de la Pro seraient d'ailleurs bien avisés de régler la console en 1080p, puisque le jeu devient presque parfaitement fluide dans cette configuration.
Enfin, moins gênant, mais néanmoins important à nos yeux, certaines décisions affectant les mécaniques de jeu même nous semblent assez contradictoires par rapport aux thèmes évoqués dans le jeu. Le choix du studio de faire s'agripper l'enfant automatiquement à Trico plutôt que de demander au joueur de maintenir une touche enlève une partie de la force des deux précédents jeux. Des titres où l'importance du toucher se transmettait au joueur, la manette faisant le lien entre lui et les personnages. Ico devait prendre Yorda par la main pour la guider à travers la forteresse, tandis que le héros de Shadow of the Colossus avait besoin de toute sa poigne pour résister aux ruades de ses imposants ennemis, et atteindre leur(s) point(s) faible(s). Il aurait été logique de retrouver cette même place centrale du contact physique entre l'enfant et son gardien, mais il n'en est rien. Un choix que l'on devine dicté par les réactions des journalistes, surpris par une gestion de la caméra malhabile, et une décision qui était sans doute nécessaire pour éviter trop de frustration au joueur (même s'il arrive tout de même que l'enfant fasse une chute mortelle en lâchant prise de lui-même).
Voilà une bonne chose de faite, nous avons fait notre devoir d'objectivité. Une objectivité qui aurait pu rester à l'état de subjectivité si nous en étions restés à nos premières impressions après quelques minutes de jeu. Car en effet, une fois la phase d'apprentissage des déplacements passée, une fois les aléas des caprices de la caméra assimilés, quelle aventure ! Pour tout vous dire, nous sommes même incapables de quantifier exactement notre temps de jeu, happés que nous avons été par l'histoire et ses personnages. L'enfant que l'on incarne se réveille prisonnier dans un endroit qu'il ne connaît pas, pour des raisons qu'il ignore. Pour ajouter à son incompréhension, d'étranges tatouages lui recouvrent désormais le corps, comme les signes d'un langage qui lui échappe tout autant que le reste. Le langage, une pierre angulaire des productions Ueda, quelle que soit la forme qu'il prend. Dans The Last Guardian, c'est le héros lui-même qui conte son aventure, bien des années plus tard, dans une langue imaginaire, mais cette fois sous-titrée dès la première partie. Si un tel choix ôte immanquablement une partie du suspens à cette épopée poétique, il a l'avantage de fournir quelques indices au joueur en quelques occasions. Mais attention, contrairement à ce que l'affichage quasi permanent des touches de la manette laisse penser, The Last Guardian ne prend jamais véritablement le joueur par la main, et le laisse se débrouiller seul, avec Trico évidemment.
Deuxième personnage principal de The Last Guardian, la créature qui se réveille péniblement auprès de l'enfant ne se laisse pas facilement amadouer au départ. Méfiante à l'égard du jeune garçon, pour des raisons que la présence de lances dans son corps laisse supposer, la bête a pourtant besoin de celui qui deviendra par la suite son protégé. La réussite de Ueda et de Sony Japan se trouve incontestablement là, dans cette association improbable entre un petit d'homme et ce lointain cousin du Griffon, mais aussi dans la création de l'intelligence artificielle animale la plus crédible qui ait jamais été développée. Grâce à des animations plus vraies que nature, de celles qui vous laisseront sans voix à chaque fois que vous verrez bondir la bête d'un morceau de décor à un autre, grâce à un impressionnant travail sur ses cris et son rugissement, l'impression de faire face à un être vivant capable d'émotions est palpable, à un niveau rarement atteint. Ce réalisme dans les réactions de Trico va jusque dans son libre arbitre, ce qui implique qu'il ne sera pas toujours à votre écoute quand vous attendrez quelque chose de lui. Si la nature de la relation entre lui et l'enfant va devenir de plus en plus forte, s'il sera plus enclin à lui obéir quand il communiquera avec lui par la parole et les gestes, Trico ne s'exécutera pas toujours à la seconde. Parfois, il faudra insister, mais dans d'autres occasions, il sera peut-être nécessaire de faire quelque chose au préalable pour lui faciliter la tâche.
La plupart du temps, il s'agira de trouver un ou plusieurs barils, qui font office de nourriture pour la créature ailée. Non que cette dernière ait absolument besoin de tout dévorer sur son passage pour avancer (il existe 96 barils en tout, ceux-ci débloquant de nouvelles tenues pour le jeune garçon lors d'une seconde partie), il est juste important de lui redonner suffisamment d'énergie après un effort conséquent. Régulièrement, il faudra donc partir en quête d'un ou plusieurs de ces barils pour pouvoir continuer d'avancer, Trico dépendant alors de son compagnon humain là où, dans d'autres circonstances, c'est l'enfant qui aura besoin de son ami à plumes pour s'en sortir. Franchir des trous béants, escalader des tours, faire sauter des portes en bois d'un jet d'éclair, Trico sait plus ou moins tout faire, en dépit des blessures qui l'empêchent de voler comme par le passé. Il embrassera également son rôle de gardien sans concession, quand il s'agira de défendre l'enfant des assauts des chevaliers désincarnés qui veillent sur la forteresse, et qui n'auront de cesse d'essayer de le capturer pour l'entraîner vers d'étranges portails de lumière (les amateurs d'ICO apprécieront l'analogie avec les bourreaux de Yorda). N'allez toutefois pas penser que l'enfant que vous incarnez n'est pas, lui aussi, capable de bien des exploits pour justifier sa présence dans le binôme.
Qu'il s'agisse de grimper les parois abruptes et vertigineuses des vestiges de cette citadelle mystérieuse, ou de plonger sous l'eau à la recherche d'un interrupteur, ses capacités athlétiques soulignent sa pugnacité, servies qu'elles sont par des animations très détaillées. Trico aura régulièrement besoin de lui pour débarrasser le passage des vitraux qui l'effraient tant, créant par là l'interdépendance qui va faire naître une amitié sincère entre les deux protagonistes. Une amitié qui ira par delà l'écran et qui s'étendra donc naturellement à celui qui sera à la fois acteur et spectateur : le joueur. Comme toute relation qui se respecte, elle passera néanmoins par quelques moments d'incompréhension, quand on s'escrimera à indiquer une direction à Trico et qu'il ne bougera pas d'une plume. Les moins patients pourront sans doute s'en agacer, notamment quand on ne sait pas vraiment s'il faut insister ou procéder différemment, en quittant son imposant compagnon pour partir en quête d'une solution un peu plus loin par exemple. Cette incertitude, c'est pourtant ce qui rend le monstre particulièrement vivant et attachant, c'est ce qui fait que l'on va jusqu'à oublier qu'il n'est finalement qu'un simple amas de polygones dénué de conscience. Oui, parfois on pourra perdre inutilement du temps parce que l'on ne sera pas déplacé au bon endroit pour que Trico nous aide, mais plus qu'un game design à blâmer, c'est surtout un souci de réalisme à saluer. Cela ne plaira pas à tout le monde évidemment, mais il aurait été tellement dommage de transformer la majestueuse créature en simple pantin obéissant de jeu vidéo.
Tous les commentaires (48)
Merci pour le test.
C'est un jeu a univers... onirique. C'est pour moi ! :)
Plus la patience de rester bloquer pour rien.
J'avais surkiffé ICO, beaucoup moins Shadow (déjà des problèmes avec la caméra), je suppose vu les tests que celui ci est tout de même indispensable comme expérience à vivre pour gamer qui se respecte.
Jeu culte :p et la note de jvc fait parler mais moi je passe outre surtout qu'il y a 3 testeurs (on aura tout vu) donc une moyenne des 3 ? je ne cherche même pas à comprendre.
J'ai fini le jeu donc je sais de quoi je parle :D je suis l'avis de GK et gameblog.
Il y a pas, les jeux de Ueda sont des jeux à la poésie unique.
Onirik> Ouaip, moi aussi j'avais trouvé Shadow of The Colossus démentiel. J'ai encore en mémoire les émotions et les sensations des affrontements contre les colosses. D'ailleurs on a jamais eut d'équivalent depuis.
Je veux dire qu'en effet, le comportement de Trico n'est pas vraiment scripté. Ce n'est pas un "press X to active" et pouf, elle vient là faire ce qu'elle est censé faire.
C'est plutôt que le jeu doit jongler entre le comportement dynamique ET les actions scriptée. Trico déclenche l'action scripté lorsque les conditions (ordre + placement) sont réunis.
Et parfois, cela ne marche pas parce que Trico n'est pas bien placé à 3-4 mètres près.
Et autant je suis d'accord que le coté "libre" de Trico est essentiel à sa crédibilité, autant il y a là pour moi un vrai problème.
Du point de vue mécanique, tu ne sais parfois pas si cela bloque parce que tu veux que Trico fasse quelque chose qu'il ne peut pas faire (mauvaise solution au puzzle) ou si c'est parce qu'il tarde à obéir et qu'il faut répéter l'ordre jusqu'à ce que ça passe.
Du point de vue émotionnel, tu t'énerves après Trico, ce qui va l'encontre de ce que cherche le jeu.
Cela étant, pour le reste, même constat que toi : une expérience atypique, un monde intriguant et cette relation... Je crois que Trico est, à un niveau purement émotionnel, le personnage le plus attachant que j'ai croisé dans un jeu.
Je le place cependant en deçà des deux autres Ueda.