Il n'y a pas que Starfield et Baldur's Gate III dans la vie, d'autres jeux méritent amplement que l'on parle d'eux, d'autant plus quand il s'agit d'un titre qui s'intéresse au langage. Chants of Sennaar est désormais disponible sur Nintendo Switch, PC, PlayStation 4, PlayStation 5 et les consoles Xbox et voilà plusieurs semaines que nous l'avons reçu grâce à Focus Entertainment. On sait pertinemment qu'il n'est pas toujours facile de s'intéresser à toutes les sorties, qui plus est quand celles-ci se bousculent à l'occasion de la rentrée des classes, mais quand l'originalité est de mise, on se dit qu'un petit effort de curiosité ne fera de mal à personne. On vous invite donc à parcourir notre review du jeu des Toulousains de Rundisc et à consommer sans modération le Gamersyde Offline de présentation qui l'accompagne !
Dans le jeu de Rundisc, on incarne un voyageur qui se voit donner la responsabilité de rétablir le dialogue entre les différentes castes qui peuplent une mystérieuse tour. Incapables de se comprendre, tous ces habitants ont pourtant besoin les uns des autres. En l'absence d'une langue commune qui les empêche de communiquer, la situation semble au point mort quand débute l'aventure. Une situation qui n'est évidemment pas sans rappeler le mythe de la Tour de Babel, dont Thomas Panuel et Julien Moya se sont ouvertement inspirés pour créer leur univers. En tant que médiateur, le joueur va devoir apprendre à connaître chacun des langages qu'il va croiser afin de progresser dans ladite tour et d'aider ses prochains. L'approche est résolument pacifiste, il n'est point question de croiser le fer ou de forcer la main à qui que ce soit ici. Seule la diplomatie et le dialogue comptent, et mine de rien, voilà qui change agréablement dans un jeu vidéo. Chants of Sennaar est indéniablement unique dans son approche du médium, et c'est cette singularité qui fait sa force, autant que sa faiblesse dans un certain sens. En effet, l'originalité de son approche a beau le démarquer du lot, la patience et l'observation qu'il requiert risquent peut-être de l'aliéner aux yeux de celles et ceux qui n'auront d'intérêt que pour des concepts plus classiques, ou des jeux aux budgets plus conséquents. Pourtant, ne vous y trompez pas, voici un titre qui mérite amplement qu'on lui accorde la même oreille attentive que celle de son personnage principal. On vous invite d'ailleurs à en faire l'expérience vous-même en osant vous essayer à la version d'essai accessible sur toutes les plateformes sur lesquelles le jeu est disponible à partir d'aujourd'hui. Clairement, plus que n'importe quel long discours, c'est uniquement de cette manière que vous pourrez apprécier son potentiel, mais aussi découvrir si ce TPL (Third Person Linguist - nous aussi, on sait inventer des genres) est à même de vous séduire.
Chants of Sennaar a beau être un jeu d'aventure né de l'héritage du point and click, il fait tourner l'essentiel de ses mécaniques de réflexion autour de la notion de langage. Ainsi, pour découvrir ce que l'on attend de nous, il va tout d'abord falloir comprendre les écrits que l'on va croiser sur notre route ainsi que les échanges que l'on va avoir avec la population locale. Chacun des peuples que l'on rencontre pratique une langue différente qui va nous demander d'en maîtriser les codes et la grammaire afin de progresser. C'est par le biais de glyphes, tous distincts les uns des autres, que l'on va pouvoir construire du sens. Pour ce faire, il va tout d'abord falloir essayer de déchiffrer la langue à laquelle on se trouve confronté, en utilisant son sens de l'observation pour commencer, mais aussi l'art plus subtile de la déduction. À chaque nouveau glyphe rencontré, celui-ci s'ajoute automatiquement au carnet du personnage principal, le joueur pouvant à tout moment y accéder pour éditer ceux dont il soupçonne déjà le sens. Un clavier virtuel apparaît alors à l'écran, permettant de faire des suppositions (puisque l'on peut écrire jusqu'à vingt caractères, il est possible d'inscrire plusieurs mots) que l'on validera (ou non) en recroisant ces symboles plus tard. Une fois que l'on a poussé son exploration suffisamment en avant et que l'on possède assez d'éléments cognitifs pour progresser, le personnage griffonne plusieurs croquis sur une double page de son carnet. Ces dessins représentent toujours des actions, des objets ou des métiers (ou rôles), ils sont généralement faciles à "lire", mais leur sens peut parfois poser question pour compliquer un peu les choses. Pour valider le sens des différents glyphes, il faut les associer aux bons croquis, mais attention, il est obligatoire qu'ils soient tous parfaitement choisis pour être confirmés. Cela empêche donc de se reposer entièrement sur le hasard, même s'il est tout à fait possible de se reposer sur lui quand le doute ne subsiste plus que sur un seul glyphe. Même si le système s'avère quelque peu différent, les plus vénérables d'entre vous auront sans doute une pensée émue pour le jeu d'Ubisoft, L'Arche du Captain Blood (1988), qui lui aussi demandait de comprendre un nouveau langage (extraterrestre dans son cas).
Bien loin des expériences frénétiques auxquelles on est souvent soumis dans le médium, Chants of Sennaar ose nous imposer un rythme lent. Mieux, il ne nous donne aucun marqueur d'objectif et nous laisse comprendre par nous-même ce qui est attendu de nous. Pour atteindre ces moments d'épiphanie où l'on parvient enfin à déchiffrer un mot, une phrase, où l'on comprend ce qu'il nous faut faire pour avancer, il n'existe pas d'autre solution que l'exploration. Après un début d'aventure très balisé et linéaire, où les "enjeux" sont bien clairs et où les gestes des personnages croisés s'associent à leur parole pour nous permettre de comprendre le message qu'ils nous transmettent, on finit par se retrouver dans des zones bien plus étendues qu'il va être nécessaire d'assimiler. Sans la moindre carte pour s'y retrouver, on est obligé de faire appel à sa mémoire des lieux, un réflexe oublié depuis longtemps tant on se contente aujourd'hui de suivre bêtement un GPS pour aller d'un point A à un point B. Ce parti pris a cependant un coût : il faut accepter l'idée que l'on va se sentir régulièrement perdu. Découvrir une nouvelle langue implique de ne pas y comprendre grand chose au départ, arriver dans de nouveaux lieux, de plus en plus vastes et alambiqués, de ne pas savoir que faire. Mais n'allez pas croire que Chants of Sennaar ne permet pas de progresser sans guide, car Rundisc donne toujours (plus ou moins subtilement) les clefs dont on a besoin pour nous aider à avancer et il suffit généralement de pousser son exploration pour ajouter une nouvelle pierre à l'édifice linguistique que l'on essaie de construire. Un geste ou un mouvement, une inscription dans deux langues (dont une que l'on maîtrise), une scène qui se déroule sous nos yeux et met en scène d'autres personnages, un mini-jeu qui va donner les indices nécessaires, la progression est particulièrement bien pensée. Alors oui, on tourne parfois un peu en rond, on s'interroge, on hésite et on se trompe, mais c'est là toute la beauté du jeu, car quand on finit par triompher, quel plaisir !
Non content de proposer une expérience qui sort des sentiers battus, Chants of Sennaar a le bon goût de le faire avec style. Visuellement, le jeu des Toulousains de Rundisc est absolument somptueux, avec des couleurs chatoyantes et une architecture inspirée du style brutaliste et des cultures musulmane et indienne. Chaque étage de la tour que l'on gravit propose une palette différente et une ambiance et des bâtiments qui ne le sont pas moins. Quand on découvre le jeu et sa direction artistique, on pense évidemment à la bande dessinée des années 70/80, mais l'univers imaginé a une vraie personnalité qu'il affiche sans avoir à rougir de ses pairs. Même la création des langues que l'on est amené à croiser part du même souci du détail. Les symboles diffèrent d'un peuple à l'autre, avec une grammaire propre (la marque du pluriel, la négation, l'ordre des mots, etc.), une graphie unique et une certaine logique. Avec finalement peu de glyphes, on se rend compte qu'il est possible de construire bien des échanges et que la réflexion nécessaire pour devenir un Champollion en herbe est finalement à la portée de tous et toutes. L'habillage sonore, plutôt discret et non intrusif, participe à ce travail de déduction d'ailleurs, en distillant une ambiance propice à la réflexion. Même quand le jeu impose quelques passages d'infiltration (qui ne laissent toutefois aucune place à l'improvisation en nous imposant un chemin très balisé), il le fait avec suffisamment de justesse pour que l'ensemble forme un tout cohérent. La jouabilité se veut fluide et agréable, même si l'on n'aurait pas dit non à la possibilité de sélection des éléments interactifs quand ils sont proches les uns des autres. On imagine bien que certains trouveront l'utilisation du clavier virtuel un peu laborieuse, mais le jeu tournant autour du langage, difficile de faire les choses autrement. Sur Switch (et Steam Deck on le suppose), l'apport du tactile est indéniable, mais honnêtement, tout se fait très facilement à la manette, avec un fonctionnement identique à l'envoi de messages entre utilisateurs sur les consoles Xbox et PlayStation.
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"Dans un médium aussi uniformisé que celui du jeu vidéo"
Par contre, je ne suis pas du tout d'accord avec ça, l'offre est tellement large, c'est probablement le medium avec la musique qui offre le plus de diversité.
Je suis plutôt branché jeux indés, et même sur ce marché qui peut se permettre un peu plus de liberté, on retrouve énormément les mêmes choses (styles/genres/DA/game-design/mécaniques/Sounds/Musiques).
Alors c'est pas un problème en soi, ça n'empêche pas certains jeux d'être qualitatifs et fun à jouer. Néanmoins entre le fait d'avoir nettement plus accès aux œuvres artistiques/culturels, et la production gargantuesque qui a tendance à des uniformisations, il est vrai qu'aujourd'hui c'est assez rare de se retrouver face à un jeu qui, d'une manière ou d'une autre, donne la sensation de nouveauté.
Le moment où ce constat est le plus frappant c'est les salons, quand plusieurs centaines de jeux sont présentés en quelques jours.
Après sur les AAA c'est beaucoup moins vrai forcément, pour refaire le parallèle avec le cinéma, les gros blockbusters s'inspirent les uns des autres, et les pépites sont rares.
Pour le moment c'est une belle réussite !