Le début de semaine est plutôt chargé sur Gamersyde, avec pas moins de deux reviews de deux très bons jeux qui tombent exactement à la même heure. Neva est probablement celui des deux qui aura fait le plus parler depuis son annonce il y a un an, aussi va-t-on commencer par lui si vous le voulez bien.
Sorti en 2018, GRIS était le premier jeu des Barcelonais de Nomada Studio, une équipe composée de gens expérimentés dans divers arts, mais pas nécessairement celui du jeu vidéo. Doté d’une direction artistique sublime, ce premier titre avait reçu un accueil chaleureux de la part de la presse et des joueurs, mais du côté des rédacteurs de Gamersyde, la sauce ne prit absolument pas à l’époque. On ne saurait vous dire exactement pourquoi, mais nous n'avons gardé aucun souvenir du déroulé de l’aventure. Pire, aucune séquence n'est finalement restée gravée dans nos mémoires, tout ce que nous en avons gardé en tête, c’est l’ennui que nous avons éprouvé en y jouant. Compte tenu du plébiscite qu’a été GRIS à sa sortie, notre ressenti pose forcément question, au point d'ailleurs que l'on finit par se demander s’il ne faudrait pas revoir notre jugement en revisitant l’aventure une seconde fois. Après tout, il est tout à fait possible que ce ne soit au final qu’une histoire de mauvais timing, que l’humeur n’y était pas quand nous l’avons terminé après trois heures de jeu il y a six ans. Pourquoi cet effort prolongé de mise en contexte ? Eh bien parce que, au contraire de nombreuses personnes, l’annonce de Neva nous avait plutôt laissés de marbre. Nous étions certes parfaitement capables de reconnaître tout le talent des graphistes à la découverte de la première bande-annonce, mais comme on le dit, chien échaudé craint l’eau froide. Après avoir traversé cette nouvelle aventure en cinq heures, nous pouvons désormais avouer que nous avions tort. Neva est un très chouette jeu et nous allons de ce pas vous expliquer pourquoi.
Neva nous conte l’histoire d’Alba, jeune femme liée par un lien puissant à deux loups doués d'un pouvoir magique. Un étrange trio qui rassemble une mère, sa louvette et une humaine, mais dont l’union sacrée va être mis à mal par une rencontre avec ce qui semble s'apparenter au néant. Très rapidement, l’intrigue prend une tournure tragique quand la louve géante succombe à l'attaque d’une mystérieuse créature humanoïde, qui semble à la tête de ce dépérissement maléfique. C’est cette dernière qui répand ensuite la malédiction sur le monde, et c’est à Alba et sa louvette Neva que va revenir la responsabilité d'empêcher la prolifération du mal. Une histoire simple mais touchante, narrée par le biais de quelques (rares) séquences cinématiques superbement réalisées, le tout sans que le moindre mot soit nécessaire pour faire passer l'émotion. Le jeu s'appuie également sur une forme de narration environnementale, à mesure que l’on s’enfonce dans la noirceur de ce monde contaminé par les ténèbres. L’intrigue défile au gré des quatre saisons, l’aventure débutant en été et se terminant au printemps, même si pour cette dernière, la séquence de jeu est plus à voir comme un épilogue que comme un niveau à part entière. Cela explique la durée de vie relativement modeste de Neva, mais très honnêtement, il aurait très probablement été préjudiciable de tenter d’en faire plus. En limitant l’étendue de son univers, Nomada évite de tomber dans le piège de la redite, et parvient dès lors à maintenir une forme de renouvellement tout au long de l’aventure. Neva ne fait donc jamais vraiment dans l’auto-citation, et évite assez logiquement de lasser le joueur en s'étirant trop en longueur.
S’il emprunte quelques éléments de gameplay de GRIS, Neva tente une approche un brin plus variée, voire même plus riche. Lors des phases de plateforme, Alba peut compter sur un double-saut et sur un dash, qu’elle peut évidemment combiner pour couvrir de plus longues distances. Elle est également capable de s’accrocher sur certaines parois pour les escalader à la force de ses bras. Nomada Studio a pris soin de peaufiner la mise en scène de la plupart de ces passages (qui demandent un minimum d’adresse) en brisant le décor au fur et à mesure de notre avancée pour créer de nouveaux chemins, via des blocs suspendus dans les airs par on ne sait quelle magie, ou malédiction. Il arrive également que l’on soit pris en chasse par une menace qu’il faut donc fuir, à la manière des fameuses séquences du tout premier Ori par exemple. Mine de rien, les quelques passages de ce genre sont vraiment marquants, mais c'est sans doute aussi parce qu'ils sont si peu nombreux, et qu’ils parviennent donc à nous surprendre quand ils arrivent. Comme dans GRIS, on nous demandera régulièrement de ramener des sortes de graines de lumière jusqu’à un mécanisme à activer, pour ensuite actionner correctement les grandes colonnes d'escaliers qui apparaissent pour nous emmener vers la suite du niveau. Il ne s'agit pas à proprement parler d'énigmes, mais plutôt de passages où il faudra réagir rapidement pour rejoindre l’objectif après quelques acrobaties supplémentaires.
Chaque zone contient un certain nombre de plantes que l'on peut ranimer/raviver, à condition de les trouver au préalable, puis de comprendre comment les rejoindre. Optionnelle, cette activité ajoute au plaisir de jeu car il faut généralement faire preuve d’un peu plus d'adresse et d’habileté pour y arriver. Pas de crainte cependant, si vous en ratez certaines, le jeu permet ensuite de relancer n’importe quelle section de chapitre à sa guise pour partir en quête des plantes oubliées. Jusqu’ici, vous pourriez avoir l'impression que Neva se contente d'appliquer une formule assez similaire à celle de GRIS, mais ce serait aller un peu vite en besogne que de tirer de telles conclusions. Car en effet, là où GRIS n’incorporait aucune mécanique de combat, Neva en fait une composante essentielle de son gameplay. Comme le reste cependant, cet aspect du jeu a été incorporé avec l'idée que l'expérience se devait de rester fluide et agréable. Les déplacements d’Alba étant toujours très gracieux, Nomada Studio ne voulait sans doute pas risquer d’installer une sorte de cassure entre les différents pans du gameplay. Ainsi, avec la combinaison de l’esquive au sol, des sauts et du dash (associé au même bouton que la roulade à terre, pour plus de simplicité), on reste finalement dans une approche similaire aux phases de plateforme. Les ennemis, sortes d’ombres désarticulés parfois capables de s’amalgamer, ne sont pas sans rappeler ceux du cultissime ICO, voire même les créatures de Heart of Darkness. Les amateurs du Studio Ghibli auront aussi du mal à ne pas penser au Voyage de Chihiro ou à Princesse Mononoke, évidemment… Il n’existe certes pas une profusion d’adversaires différents, mais cela n’est aucunement gênant, car les situations se renouvellent suffisamment pour ne pas que s’installe une routine trop prégnante.
On ne va pas trop vous en dévoiler trop pour vous laisser le bénéfice de la surprise, mais sachez que le système de combat se base sur une idée toute simple. En cas de perte de points de vie, Alba est en effet obligée de rester très offensive, car elle ne dispose d’aucune potion pour se revigorer. Elle doit alors frapper ses adversaires un certain nombre de fois, seule manière de récupérer sa santé. Cette façon d’aborder les affrontements permet non seulement de maintenir une certaine tension tant qu’il reste encore un adversaire debout, mais aussi de laisser au joueur une chance de renverser la situation quand l’issue du combat paraît mal engagée. Jamais insurmontables, les phases d’action ne cherchent pas à frustrer inutilement, et quand il arrive que l’on perde la vie, il suffit tout simplement de se relancer dans la malheureuse rencontre, sans autre forme de punition, les checkpoints étant toujours très réguliers. Il en va de même pour les quelques boss que l’on croise, généralement des animaux sauvages infectés par les ténèbres et que Neva et Alba doivent purifier. On ne l’a pas encore dit alors qu’elle donne pourtant son nom au jeu, mais la jeune louve est évidemment un élément central de cette aventure. Toute jeune au tout départ, elle va assez logiquement grandir au fil des saisons, ce qui va lui permettre d'être de plus en plus utile à sa jeune maîtresse. Fragile au début, elle deviendra petit à petit un redoutable compagnon d’arme que l’on pourra même lancer manuellement sur les ennemis afin de les immobiliser un instant. Elle donnera aussi à Alba la possibilité d’interagir avec des éléments du décor un peu éloignés pour, par exemple, activer certaines plateformes pendant un court laps de temps. Le studio finit ainsi par créer une véritable symbiose entre les deux personnages, qui amène le joueur à ressentir un attachement pour l’animal qui vient servir l'écriture.
Cela ne surprendra personne, mais avec Neva, Nomada Studio montre une fois de plus toute l'étendue du talent de ses artistes. Le jeu affiche en effet un rendu visuel absolument superbe qui, bien que dans la droite lignée du travail qui avait été accompli pour GRIS, s’en démarque suffisamment pour que l’on ne puisse pas confondre les deux titres, pourtant tous deux nés de l’imagination de Conrad Roset. L'impression de traverser un tableau peint à la main est toujours aussi présente, mais l’univers est ici radicalement différent, moins abstrait que ne pouvait l’être celui de leur précédent jeu, et moins porté sur un rendu en aquarelle. Très coloré au début de l’aventure, avec une palette de couleurs bien plus étendue que dans GRIS, il finit par prendre des teintes plus monochromes et/ou inquiétantes quand l'automne ou l’hiver arrive. Quoi qu’il arrive cependant il dégage toujours une indéniable poésie, la vie et la mort se côtoyant dans une certaine idée du cycle de la nature et des êtres vivants. Nombreux sont les tableaux qui vous laisseront bouche bée, la caméra prenant souvent un malin plaisir à s'éloigner des deux personnages pour nous laisser profiter de la beauté des panoramas, tantôt sublimes, tantôt plus torturés. Chaque saison amenant sa petite nouveauté de gameplay et de nouvelles situations, le changement n’est jamais uniquement visuel, et tout entre en parfaite harmonie pour nous faire vivre un nouveau chapitre de la vie de cet improbable duo. Cette poésie de l'image, on la retrouve aussi dans le soin apporté aux animations, quand Neva court à vive allure, qu’elle se rattrape maladroitement à un rebord quand elle est encore jeune, ou quand Alba l'enlace pour lui faire un câlin après un moment difficile. Tout converge vers un même but, celui de nous faire ressentir la force du lien qui les unit.
Dans cette même optique, la bande son vient quelque part asseoir ces sensations. De nouveau, Nomada Studio a confié au groupe barcelonais Berlinist le soin de créer une bande originale autour de ces deux personnages, mais aussi autour de l'idée des différentes saisons, chacune ayant droit à son propre thème, sa couleur musicale et son ambiance. Intégré dès le début du travail et dès les premiers concept arts, le groupe a pu confectionner des thèmes sur mesure avec le studio de développement, et c’est ce qui donne au jeu son atmosphère particulière. Mais très clairement l'idée principale ici était de faire en sorte que tous les composants artistiques du jeu se fondent les uns dans les autres, que rien ne se place au-dessus des autres, ou tire la couverture sur lui. Cette recherche de la cohérence artistique, on la ressent parfaitement à chaque instant, et d’ailleurs, c’est aussi ce qui a guidé Rubén Rincón, chargé de tous les bruitages (comme sur GRIS), dans leur élaboration. Tout l'habillage sonore s'escrime donc à se fondre dans le reste, des aboiements ou couinements de Neva (enregistrés grâce au Husky de Rincón) aux battements de cœur d’enfant que l’on peut entendre à un moment donné (ceux de sa nièce). C'est cette sensibilité de la bande son qui participe également à rendre l'expérience si spéciale, si unique. Car encore une fois, tous les artistes qui ont travaillé sur le jeu ont tous œuvré dans un même but, celui de créer un univers mystérieux où l'interprétation du joueur a tout autant sa place que dans GRIS. On ne sait pas d’où le Néant arrive, on ne sait pas pourquoi Alba et Neva sont les seules à l’affronter, mais on le vit avec elles jusqu’au bout…
Tous les commentaires (3)
J'ai bien aimé Gris personnellement donc tant mieux si ce 2eme jeu du studio est encore meilleur !
Une petite démo ça le ferait clairement par contre.
Ce que je vois me plaît énormément, la direction artistique a l’air tout simplement somptueuse ♥️
J’ai vraiment hâte d’y jouer !
Merci Drift pour cette review 😉
J'avais peu de doutes pour ma part, mais content de voir cette review qui confirme la qualité du jeu. J'avais beaucoup aimé Gris, et je vais me ruer sur ce Neva.