Après quelques années de franche disette, le genre aventure connaît des jours meilleurs, grâce notamment à l'investissement et au sérieux de studios désireux de faire revivre un certain âge d'or du jeu vidéo, en hommage à une époque où l'on osait encore demander aux joueurs d'utiliser un peu leur tête. C'est dans ce contexte que les développeurs ukrainiens de Frogwares nous reviennent avec une nouvelle itération de leur série basée sur les romans d'Arthur Conan Doyle. Une franchise qui fait mine de rien son petit bonhomme de chemin depuis quelques années, ce nouvel épisode arrivant avec pour ambition l'ouverture à un public plus large. Sherlock Holmes: Crimes & Punishments mérite-t-il d'être condamné pour telle initiative, ou bien peut-il prétendre à l'absolution et à la clémence ? La réponse pas si élémentaire que cela, juste après le clic.
Avec ce nouveau volet, Frogwares n'a à l'évidence pas lésiné sur les efforts en proposant un nombre conséquent de nouveautés, à commencer par un moteur graphique tout neuf tirant parti des bienfaits de l'Unreal Engine 3. En résulte une très nette amélioration de la partie visuelle du titre sur de nombreux points, même si le titre édité par Focus reste cependant assez modeste techniquement parlant. Bien que manquant parfois un peu d'expressivité, les visages ont fait l'objet du plus grand soin, certaines modélisations allant même jusqu'à flirter avec une certaine forme de photo-réalisme. Les intérieurs sont très souvent particulièrement riches en détails, et certains environnements offrent même un peu plus d'espace qu'à l'accoutumée - même si c'est parfois au prix d'un rendu un peu vieillot. Ceci étant dit, il ne faut pas non plus attendre de ce nouvel épisode un niveau technique extraordinaire, les éclairages manquant par exemple de réalisme et de nuance. De même, la rigidité des animations est assez regrettable dans la mesure où elles incitent à passer le jeu à la première personne, qui permet des déplacements un peu plus agréables. On est donc bien loin de titres comme le fraîchement sorti The Vanishing of Ethan Carter, tournant pourtant lui aussi avec le moteur d'Epic.
Ne vous attendez pas non plus à arpenter les rues de Londres librement, la structure du jeu se voulant proche de celle d'un point'n'click. On passe donc d'un lieu à l'autre à l'aide de la carte de la ville, l'écran de chargement prenant la forme d'une promenade en calèche pendant laquelle le calepin de Holmes et la page des déductions sont accessibles. Le court passage dans Baker Street qui nous avait été dévoilé pendant la Gamescom 2013 n'est malheureusement pas parvenu jusqu'au jeu final, mais vous passerez tout de même par les ruelles sombres de Whitechapel pour la sixième enquête du célèbre duo. Alternant le beau et le moins beau, Sherlock Holmes : Crimes & Punishments fait également le yoyo au niveau de ses performances sur PC. Alors que l'on pensait pouvoir compter sur un frame rate locké à 60 fps, notre Geforce 780 n'a pu empêcher le jeu de subir des ralentissements notables dans certains lieux. Plus étonnant, il nous est arrivé de voir le nombre d'images par seconde chuter à 30 fps lors de certaines sessions, alors que le jeu tournait parfaitement la veille. D'après ce qui nous a été dit, les développeurs planchent ardemment sur le problème, mais même si la jouabilité n'en est jamais impactée, cela reste bien dommage. Sur PS4, la stabilité (relative) des 30 fps sera la différence la plus notable avec son homologue PC.
L'essentiel des nouveautés de cet opus se situe heureusement ailleurs, dans les mécaniques de jeu elles-mêmes. Et pour le coup, Frogwares ne s'est pas moqué de nous, avec une volonté évidente d'enrichir les interrogatoires et les phases d'enquête, sans oublier d'impliquer le joueur émotionnellement. Encore une fois, nous allons voir que tout n'est pas forcément parfaitement mis en œuvre, mais la démarche est louable et porteuse de beaux espoirs pour les projets à venir du studio ukrainien. Nous le disions en préambule, Crimes & Punishments se veut l'épisode de l'ouverture, ce qui sera peut-être son défaut tragique aux yeux de certains joueurs. Le déroulement des enquêtes et les énigmes qui se dressent en travers du chemin de Holmes font en effet l'objet d'un guidage permanent qui facilite grandement la progression. La vision de détective permet par exemple de souligner certains indices autrement invisibles à l’œil nu, mais en plus de cela, son utilisation est toujours annoncée par l'apparition de l'icône correspondante. Autre exemple de simplification du gameplay, l'imagination de Holmes qui donne l'occasion de reconstruire la chronologie d'une scène (comme dans Ethan Carter) ne demande qu'un minimum de logique par rapport à ce que l'on sait des événements.
Cette accessibilité se retrouve également dans l'observation des scènes de crime, lorsque l'on promène le curseur à la recherche d'éléments importants. S'il est possible à tout moment de quitter l'écran de recherche, il est très déconseillé de le faire puisque le jeu se charge de nous ramener au mode exploration dès que tous les objets clefs ont été découverts/observés. Le risque de manquer des indices est donc totalement absent, ce qui peut surprendre quand on sait que Crimes & Punishments met un point d'honneur à laisser au joueur le soin de désigner le coupable. Malgré ce que certains appelleront un assistanat inutile, il vous faudra néanmoins fouiller minutieusement les lieux du crime pour y trouver les éléments nécessaires à l'une des nombreuses conclusions possibles de chaque enquête. Mais avant de pouvoir choisir votre coupable, il faudra rencontrer tous les acteurs en présence pour les interroger et mieux les cerner. Pour ce faire, le sens de l'observation affûté de Holmes vous permettra d'observer vos interlocuteurs sous toutes les coutures pour déceler leurs origines sociales ou même leurs failles les plus intimes. Aucune contrainte de temps ne vous est imposée dans ce mode, le principe étant de déplacer le curseur et la caméra à la recherche de détails importants.
Vient alors la phase d'interrogatoire à proprement parler, séquence pendant laquelle vous pouvez choisir l'ordre des sujets abordés ou des questions posées (sans que cela n'affecte le résultat de l'entretien). Parfois, une touche apparaîtra à l'écran pour vous indiquer que vous avez là une occasion de contredire le suspect/témoin pour l'amener à jouer franc-jeu avec vous. Il vous faudra ensuite sélectionner le bon indice pour déstabiliser votre interlocuteur ou lui faire peur. Un système très sympathique mais qui ne va malheureusement pas au bout de son idée puisque l'erreur y est impossible. Si vous manquez l'appui sur la touche affichée ou si la réplique choisie n'est pas la bonne, un simple retour en arrière de quelques secondes vous donnera une nouvelle chance de réussir. L'issue des interrogatoires se veut donc toujours très scriptée, ce qui enlève obligatoirement une partie de la tension (et de l'attention) qui devrait aller avec ce genre de séquences. Étrangement, lors des dénouements d'enquête, des QTE similaires pourront se déclencher à tout moment (restez vigilant) et vous amener vers une fin tragique en cas d'échec. Des sanctions similaires lors des phases d'interrogatoire auraient certainement ajouté un peu de piment aux enquêtes, du moins à notre sens.
Seul véritable moment où vous serez libre de vous tromper, la phase finale pendant laquelle il vous est demandé de désigner le parfait coupable à vos yeux. Présentés sous la forme de connexions synaptiques, ces passages ont pour but de vous laisser tirer vos propres conclusions en fonction de vos interprétations personnelles des faits et des indices. Le principe est assez excellent en soi, même s'il faut reconnaître qu'il n'est pas toujours très compliqué de découvrir le fin mot de l'histoire. Pour ceux dont la mémoire ne fonctionne pas toujours à plein régime, c'est le moment idéal pour ressortir le calepin de Holmes et passer en revue tous les documents et indices récoltés. Il est même possible de relire l'ensemble des conversations avec les suspects/témoins, tout cela très facilement. Une fois le coupable choisi, il est temps de décider si vous allez le livrer à Scotland Yard ou si les circonstances du crime vous ont suffisamment touché pour vous inciter à fermer les yeux. Cette inclusion toute nouvelle de la moralité dans la série est intéressante dans la mesure où elle oblige le joueur à se poser des questions avant la validation finale (le jeu prenant un malin plaisir à vous faire douter en vous demandant plusieurs fois si c'est bien votre dernier mot). Ceci étant dit, le choix de proposer 6 enquêtes indépendantes tend quelque peu à limiter le poids des décisions que l'on prend, les personnages n'étant pas amenés à recroiser les héros (qui reçoivent cependant quelques nouvelles par courrier).
Pour terminer, parlons enfin des énigmes qu'il vous faudra affronter pour venir à bout de Crimes & Punishments. Comme dans les volets précédents, Frogwares a voulu s'assurer que personne ne se retrouverait irrémédiablement bloqué par un puzzle un peu trop alambiqué. Aussi, si le genre vous effraie un peu, sachez qu'il est à tout moment possible de solutionner une énigme en cours en appuyant sur une simple touche. Une bonne idée, même si l'on trouve sa présence quelque peu superflue dans ce nouvel épisode. En effet, dans l'ensemble, difficile de rester coincé bien longtemps sur une énigme, même sans être un acharné du jeu d'aventure. Les analyses de petit chimiste de Holmes sont en effet suffisamment guidées et didactiques pour ne pas faire fuir ceux à qui la science n'a jamais su parler. Même constat pour le reste des énigmes, qui consistent essentiellement à bien observer son environnement et y placer correctement les bons objets. Le crochetage de serrure est peut-être le mini-jeu le plus ardu du lot, encore qu'il reste parfaitement abordable ; tout juste peut-on lui reprocher sa présence un peu trop systématique tout au long de l'aventure. Ce qui semble évident à la vue de Crimes & Punishments, c'est la volonté de Frogwares de varier les puzzles et mini-jeux, le studio étant même allé jusqu'à inclure des phases jouables avec Toby, le fidèle chien policier de Holmes. Bien que classique, la séquence qui demande aux deux héros de travailler de concert pour avancer est également bienvenue. On sera plus réservés quant à la mécanique de déguisement, pour le moins discrète et sans grand intérêt.
Tous les commentaires (15)
Ca donne bien envie tout ça quand même.
Et cette fin où tu dois choisir ton coupable, ça me rappelle "Croisière pour un Cadavre", avec le risque de se tromper.
De même que les interrogatoires qui peuvent se terminer par un Game Over...
C'est tellement rare quand un jeu d'aventure nous donne vraiment le choix !!
Un peu déçu par l'assistanat voulu par les développeurs qui me semble gâcher un peu le jeu.
Je le prendrais en fin d'année quand la période vidéoludique sera plus calme pour pouvoir se poser sur ce genre de jeu.
J'ai adoré l'épisode précédent, en comparaison, Driftwood si tu l'as fait, l'ambiance est-elle au rendez-vous? est-on bien "pris" par le jeu (je sais que ça dépend des personnes mais je voudrai avoir un avis)? le fait que les enquêtes soient bien "séparées" nuit-il à tout ça?
et enfin, as-tu vu la version 360? si oui, est-ce suffisamment fluide?
Merci d'avance.
Le jeu est très agréable à condition de passer à la première personne.
Désolé.