Neuf mois après l'annonce de Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, les équipes d'Ubisoft Montpellier accouchent enfin de leur toute nouvelle création. Après Rayman et Child of Light, l'UbiArt Framework a le vent en poupe mais cette fois, c'est un sujet grave et important qu'il a permis de mettre en images de bien jolie manière. La Première Guerre Mondiale n'a clairement pas été une grande source d'inspiration pour l'industrie vidéo-ludique, aussi, quand l'occasion se présente de découvrir cette sombre période de notre Histoire, on aurait tort de se faire prier. D'autant que pour une fois, il ne va pas s'agir de tirer à vue sur tout ce qui bouge. Pour en savoir plus, on vous invite à nous rejoindre sur le champ de bataille dans notre review complète de la version PC du jeu.
Qu'est-ce-qui fait d'un homme un soldat ? La vocation ? L'envie de servir son pays ? Aujourd'hui, ces questions n'ont de sens que pour ceux qui envisagent une carrière au sein de l'Armée, mais à l'époque de nos arrière-grands-parents, la réalité était toute autre. Aux yeux de ceux pour qui guerre ne rime plus qu'avec pays lointains, le jeu d'Ubisoft fait office de piqûre de rappel. Il y a à peine 100 ans, des hommes anonymes ont perdu la vie face à d'autres hommes que la politique avait transformés en ennemis. Opposés dans une bataille sans relâche pour la survie, seule la mort parvenait à réunir les deux camps dans la même souffrance. Une folie à mettre sur le compte des hommes une fois de plus, et qui laissera des traces dans les âmes des survivants encore plus pénétrantes que les sillons des tranchées creusées pendant le conflit. La Grande Guerre, comme on l'appelle aujourd'hui, n'aura épargné personne, brisant les familles, mais aussi les amitiés rendues impossibles par l'antagonisme soudain entre les nations. Les voisins devenus ennemis se sont livrés bataille jusqu'à la mort, les quelques trêves n'ayant fait que souligner l'absurdité d'une situation qui semblait ne jamais vouloir s'arrêter. Se battre pour la patrie, puis se battre pour s'en sortir, pour ne pas sombrer dans la folie, pour ne pas tout perdre.
Avec pareil sujet pour un jeu, Ubisoft Montpellier a dû se prêter à un véritable numéro d'équilibriste. Loin des habituels jeux de tir où l'ennemi allemand sert avant tout de chair à canon, où le peuple germanique revêt le costume du mal qu'il faut éradiquer, Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre vous invite à vivre le conflit de l'intérieur en se concentrant sur l'aspect humain. Ce sont donc les tranches de vie de quatre personnages et de leur compagnon canidé que l'on suit à travers quatre chapitres distincts qui couvrent la quasi totalité du conflit. Ces quatre héros dont les destins sont intimement liés mettent en exergue les ravages d'une guerre qui voit une même famille se scinder en deux parce que tous ne sont pas nés du même côté de la frontière. Karl, jeune allemand courageux et travailleur, avait choisi de vivre en France avec Marie, leur fils et Émile, son beau père, mais la guerre va l'obliger à les quitter pour rejoindre les troupes germaniques. Née en Belgique, Anna cherche sans relâche la trace de son père enlevé par les Allemands pour créer des machines de guerre terrifiantes, tandis que Lucky Freddie s'est lancé dans une course insatiable pour retrouver l’impitoyable Baron Von Dorf et assouvir sa vengeance.
Enfin, Walt, un chien secouriste allemand, montrera que la fidélité et l'amitié canine ne tiennent jamais compte des origines, parabole subtile soulignant qu'au delà de la couleur de leurs drapeaux, les soldats n'en restent pas moins des hommes dont la nationalité ne préfigure pas du bon qui est en eux. Si vous avez suivi attentivement la communication autour du jeu, vous aurez sans nul doute remarquer que l'un des personnages annoncés manquera à l'appel du 25 juin. En effet, à notre grande surprise, George l'aviateur ne fait finalement pas partie du casting du jeu, sans que l'on sache exactement pourquoi. Est-ce-que les mécaniques de jeu qui le mettaient en scène laissaient à désirer ? Est-ce-que les développeurs ont préféré en garder sous le pied pour proposer une ou plusieurs campagnes supplémentaires (via des DLC ou, pourquoi pas, un autre jeu) ? Difficile à dire. Ce qui est certain, c'est que vous ne prendrez jamais la voie des airs au cours des quatre chapitres qui composent l'aventure. Une semi déception, dans le sens où le titre d'Ubisoft Montpellier n'a finalement pas besoin d'un autre personnage pour tenir son propos jusqu'au bout, mais nous aurions cependant été très curieux de découvrir l'histoire de cet aviateur britannique qui ne savait soit disant pas voler.
Lorsque Émile promet à sa fille de ramener Karl à ses côtés par tous les moyens, il ne se doute pas encore de l'horreur que va être la guerre, ni des années qui vont s'écouler inlassablement au cœur des tranchées sans qu'aucune issue ne semble possible. Du cadre joyeux et coloré d'avant guerre, de l'enthousiasme exacerbé des premiers assauts, il ne reste bientôt plus rien. Les cadavres des anciens compagnons jonchent le champ de bataille avec ceux de l'adversaire, comme une sorte de rappel macabre que la vie est en sursis pour ceux qui ne sont pas encore tombés. Émile et Karl avancent donc souvent à pas feutrés, pour éviter ceux qui sont lancés à leur recherche, parfois au sein même de leur propre camp. L'occasion de séquences d'infiltration simplifiées qui ne pardonnent cependant jamais la moindre erreur. Certains éléments du décor servent alors de cachette provisoire, le temps de laisser passer l'orage, quand ce n'est pas l'obscurité qui sert à masquer une fuite éperdue lors d'une évasion désespérée. Et puis il y a ces passages où la mort s'abat sur les hommes, où les obus explosent au contact de la boue des tranchées et des soldats qui y campent. Toutes les situations vécues à l'époque par ces jeunes hommes et femmes sont retranscrites ici dans un style digne des planches de Larcenet ou Tardi.
Un hommage vibrant à la bande dessinée que l'on retrouve d'ailleurs dans l'apparition récurrente de vignettes servant à fournir de précieuses indications au joueur, telles les rondes des gardes, la présence d'un soldat devant sa mitrailleuse, etc. Une sorte de narration dans le jeu dont le but est avant tout de servir le gameplay. Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre s'avère d'ailleurs à la fois audacieux et presque trop sage quant à ses mécaniques de jeu. Audacieux, parce qu'en lieu et place d'un titre orienté action, nous avons droit à un vrai jeu d'aventure dont l'ADN n'est pas si éloigné de l’esprit des point'n'click d'antan. Sage, parce que même si la mort et l'échec seront assez souvent au rendez-vous au cours de l'aventure, la grande accessibilité du jeu fait que vous ne bloquerez pour ainsi dire jamais sur un tableau. Les énigmes rencontrées ne vous donneront que très peu de fil à retordre et le grand nombre de points de contrôle ne sanctionnera guère vos éventuels ratés. La progression dans l'aventure s'en trouve donc grandement fluidifiée, ce qui n'est pas un mal en soi, mais il ne faudra pas vous étonner d'en voir le bout assez rapidement (une soirée et une après midi en ce qui nous concerne). Ceci étant dit, malgré ce manque d'épaisseur côté durée de vie, le jeu imaginé par Paul Tumelaire évite aussi de traîner trop en longueur au risque de lasser le joueur, ce qui a évidemment son importance dans un titre proposé au tarif de 15€.
Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre fait donc tout pour varier les situations grâce à un partage intelligent de l'histoire entre les quatre personnages principaux. Anna sera par exemple souvent mise à contribution pour soigner les blessés ou secourir les gens en détresse. Ces passages feront l'objet de mini-jeux de rythme un peu redondants mais jamais bien longs ; tout juste peut-on regretter leur extrême facilité. Alors que les soins procurés aux blessés à l'époque étaient souvent affaire de rapidité d'exécution, on regrette aussi que la notion de temps et d'urgence ne viennent jamais jouer un rôle dans le sauvetage des victimes. Grande conductrice dans l'âme, Anna est également au premier rang quand il s'agit de parcourir des kilomètres en voiture, tout en évitant de heurter d'autres véhicules ou de se faire toucher par des obus. Ces séquences s'avèrent particulièrement réussies, grâce notamment à une utilisation originale de la bande son, les musiques utilisées étant toujours en total décalage avec la situation. L'approche des autres personnages se veut un peu plus collégiale, dans le sens où l'on va retrouver sensiblement les mêmes mécaniques de jeu pour chacun d'entre eux. Freddie aura sans doute une approche plus frontale des événements (il manie l'explosif comme personne et sait piloter des tanks), mais l'approche du gameplay ne change pas radicalement par rapport aux autres.
Le chien de la bande n'étant jamais contrôlable directement, il s'agira de lui donner des ordres pour qu'il récupère un objet inaccessible ou actionne un levier hors d'atteinte. Accompagnant tour à tour Émile, Freddie, Anna ou Karl, le Doberman sera un allié utile et fidèle. Quel que soit le personnage joué, il faudra aussi parfois faire preuve d'adresse, en lançant un bâton de dynamite au bon endroit en profitant de sa trajectoire pour l'enflammer au contact d'un jet de flamme par exemple. La coopération sera également de mise, avec une progression simultanée des héros, le jeu nous faisant passer de l'un à l'autre automatiquement. Découper le fil de barbelé d'une barrière avec Freddie, viser les positions ennemies à l'aide d'un canon, détruire un char d'assaut avant que celui-ci ne parvienne à enfoncer la porte blindée qui protège vos amis (le temps d'exécution ayant là une importance capitale), voilà quelques exemples qui montrent à quel point le jeu est capable de se renouveler. Alors bien sûr, on retrouve évidemment certaines mécaniques plusieurs fois au cours de l'aventure, comme lorsqu'il s'agit de trouver des objets particuliers pour aider des soldats ou des civils (un homme qui souhaite avoir son bras en écharpe, un autre qui a besoin d'une béquille, etc.), ou quand Émile doit creuser son chemin à travers les obus à la manière de Boulder Dash, mais heureusement, aucune lassitude ne vient ternir l'expérience globale.
Nous l'avons déjà dit plus haut, mais la direction artistique de Soldats Inconnus lorgne très clairement du côté de la bande dessinée française, pour un rendu qui ne pourra laisser personne indifférent, quitte à ne pas plaire à tout le monde. Après Child of Light, l'UbiArt Framework de Rayman est de nouveau à l’œuvre dans un genre radicalement différent et prouve encore une fois sa polyvalence dans le monde de la 2D. Guerre oblige, la palette utilisée pour habiller les tableaux prend vite des teintes tristes très éloignées des couleurs primaires du chatoyant Rayman. Assez logiquement, tout cela reflète parfaitement la psychologie des personnages, mais également le visage du conflit et son évolution à travers les années. Tout aussi importante pour l'atmosphère du titre, l'ambiance sonore est tout bonnement somptueuse, soulignant avec justesse les moments de tension où la musique s'affole, et ceux, plus calmes, où seuls le piano ou les instruments à cordes viennent parfois troubler le silence environnant. La bande originale se fond donc totalement dans le paysage jusqu'à disparaître quand elle n'est plus nécessaire au propos du jeu. Et puis comment ne pas vaciller à l'écoute d'un thème principal empreint de tant de mélancolie.
De ce soin apporté à tout le sound design découle une indéniable harmonie entre la narration menée de voix de maître par l'incroyable Marc Cassot et les quelques bribes de conversations que l'on peut deviner entre les personnages. Deviner, c'est bien le mot. Parfois inintelligible à l'exception de quelques mots, le langage de Soldats inconnus : Mémoires de la Grande Guerre fait dans un minimalisme calibré avec une exceptionnelle précision. Dans un souci d'authenticité, chacun des protagonistes de l'histoire s'exprime dans sa langue maternelle et seuls les mots les plus importants ressortent suffisamment pour que les situations soient bien claires. Quasi sans paroles donc, les phases de gameplay n'en racontent pas moins toutes un morceau de l'histoire, des encouragements lancés à Walt par ses compagnons aux marmonnements mécontents de certains officiers. Des bulles de dialogues apparaissent à l'écran pour illustrer les propos les plus importants, créant une ambiance assez unique en son genre. Pour revenir sur la performance exceptionnelle de Marc Cassot, cet acteur de 91 ans (depuis le 16 juin dernier) à la voix si reconnaissable (Charles Ingalls pendant deux saisons, Bilbon Sacquet, Batman dans la série culte des années 60, c'est lui) fait réellement du jeu d'Ubisoft Montpellier un titre incontournable. Toute la portée historique du jeu voulue par les développeurs se voit donc admirablement soutenue par le timbre du narrateur et la bande son en général, mais ce n'est pas tout.
Si certains n'y verront qu'un simple artifice pour gonfler la durée de vie du jeu, tous les collectibles plus ou moins bien cachés dans les niveaux racontent eux aussi une partie de notre Histoire. On y trouve pèle-mêle des objets du quotidien, des extraits de lettres de l'époque, ou des pièces d'équipement de soldats. À ceci s'ajoutent également quelques images d'archives accompagnées de notes explicatives brèves mais néanmoins instructives pour ceux qui méconnaissent ce pan important de l'Histoire moderne européenne. Une dimension didactique qui n'est cependant jamais intrusive ni exagérée, l'hommage rendu à ces hommes et femmes de la Grande Guerre étant avant tout retranscrit dans les situations dépeintes dans le jeu. Rien n'est oublié, des premiers assauts brutaux au cauchemar des tranchées, des civils en détresse aux nombreux soldats blessés en souffrance, des camps de prisonniers aux évasions, des actes de bravoure aux mutineries. On aurait peut-être parfois voulu le ton du jeu plus dur encore, l'implication émotionnelle plus forte, mais impossible de ne pas être touché par ces hurlements d'enfants qui appellent leurs parents, par ces personnages croisés fugacement quelques instants avant leur mort. Si l'histoire contée se veut simple et classique, son dénouement poignant la conclut joliment d'une ironie tragique et amère, de celle que seules la littérature et la guerre sont capables d'engendrer.
Tous les commentaires (26)
Merci pour la review, pour ce qui est de l'aviateur, peut-être que son nom est Ryan et qu'on va devoir aller le chercher dans un DLC ^^
Toujours au top par contre pour les intertitres ! :)
La narration ? La thématique ? Mouais... je ne suis pas d'avantage convaincu par ces arguments... mais il semble de bon ton d'adopter une posture solennelle avec ce jeu en disant que c'est un merveilleux hommage. Perso, je suis hermétique à ce discours. Mais alors complètement !
La différence entre toi et les gens qui en disent du bien, c'est que tu n'as pas joué au jeu, mais tu as certainement raison, tout n'est que hype sans justification. Faudra que tu nous dises un jour ce qui fait vibrer ton petit cœur de joueur, les Fifa qu'on nous sert tous les ans sans doute ? ^^
Bon moi hier soir j'ai eut la désagréable surprise de devoir installer Uplay pour y jouer.
Sinon moi j'en suis à la fin du premier chapitre et dire que j'adore est un euphémisme tellement je suis à fond dedans. La narration, la DA et l'ambiance sonore sont exceptionnels. Je ne sais pas trop combien de temps va durer le jeu mais j'ai pas hâte de finir....
Des jeux comme ça mériteraient de plus gros budgets et mériteraient surtout de sortir en version boîte, tandis que les COD et autres Fifa qu'on nous sert chaque année devraient tout juste être des extensions à 15€ en démat. La vie est mal faite...
La différence entre toi et les gens qui en disent du bien, c'est que tu n'as pas joué au jeu, mais tu as certainement raison, tout n'est que hype sans justification. Faudra que tu nous dises un jour ce qui fait vibrer ton petit cœur de joueur, les Fifa qu'on nous sert tous les ans sans doute ? ^^
Sérieux, il serait bon de songer à atterrir, plutôt que me tomber dessus de manière si outragée en me parlant de "respect". Charité bien ordonnée commence par soi-même. Mais bon, je ne me berce guère d'illusion, peu de chance que le propos d'un nouveau venu en ces lieux trouve écho... autant pisser dans un chausson comme dirait l'ami Dieudo.
Bref, avant de jouer les vierges effarouchées et les martyrs à la moindre remarque, apprends à t'exprimer avec le minimum de respect que tu attends des autres. Je n'ai pas été plus désagréable avec toi que tu l'as été avec nous autres, ne t'en déplaise. Maintenant, venant de quelqu'un qui cite Dieudo, on peut difficilement attendre mieux j'imagine. :p
Pour moi c'est un gros GG à Ubi d'avoir tenté autre chose avec ce jeu expérience et c'est une grande réussite.